Débandade de la langue française

Bijou/bijoux, caillou/cailloux, hibou/hiboux, joujou/joujoux, pou/poux prennent parfois un S au pluriel dans certaines cervelles. Maxes, autotext à l’école ou ailleurs, vaxins flanqués d’un X démontrent une France à genoux… Et nous ne parlons ni de la syntaxe, ni de la grammaire cabossées par les jeunes générations, par les geek ou encore par les rappeurs qui nous propulsent dans les chouxxxx ! Quelle que soit l’école dont se revendiquent les linguistes, tous vous diront qu’une langue est le miroir d’une société à un temps T de son histoire. Prenez le latin ancien : au même titre que les cohortes ou les légions, il jouera un rôle fédérateur tout au long des conquêtes de Rome. Lorsqu’aux 3ème et 4ème siècles l’empire politique et administratif s’effondra du Latium à l’actuel Sahel, plusieurs signes l’avaient précédé : sclérose de la langue, déclin de la culture, effritement du droit romain, voire recul du théâtre, de l’art oratoire et des lectures publiques si prisées des Romains !

Alerte, toutes ! Jusqu’aux années 1950/1960, notre langue française par la richesse de son vocabulaire, par la précision subtile de la grammaire faisait contrepoids à « l’anglomanie ». Elle était alors étayée par une puissance politique incontestée et, de facto, revêtait un caractère d’universalisme. Une langue meurt lorsqu’elle ne parvient plus à traduire l’époque contemporaine dans sa propre syntaxe. Ou encore, lorsqu’elle recourt systématiquement à une langue étrangère pour nommer des découvertes scientifiques, industrielles, technologiques. Nous en sommes là : la France se voit gagnée par un zèle d’autodestruction. Haro sur les termes de « start up », de « business and gold boys », de «  fashion week », de lifestyle !

Ne comptons ni sur l’écriture inclusive, ni sur les textes en charabia sms, ni sur le langage caricatural ou réducteur des politiques et des hommes-sandwichs ministériels pour lui conférer une… Renaissance. Beaucoup ignorent tout de la correspondance des temps, tout du code grammatical, tout d’un répertoire même élémentaire – éléments qui structurent le cerveau et fonctionnent telle une carte routière de la pensée.

Il y a encore plus grave, plus dramatique… Que dire des prises de paroles des duettistes du jeudi soir Castex/Véran ? Sinon qu’ils participent activement – oui, mon colonel, oui mon général – au « délitement » du pays en maniant des concepts simplistes dans une langue digne des bacs à sable. Emmanuel Macron peut manier avec élégance et profondeur notre langue : songeons à l’éloge qu’il rendit à Jean d’Ormesson lorsque ce dernier s’éloigna à jamais de nos rivages… Et pourtant, c’est ce même homme qui s’est récemment permis de faire passer des messages concernant les dispositifs anti-covid en dialoguant (?) dans la banlieue parisienne avec une petite-fille de 6 ans. Que le chef de l’Etat fasse ainsi l’économie d’une politique linguistique appropriée révèle l’incapacité de sa Majesté à penser que les Français sont des adultes. Une stratégie politique ne s’élabore pas devant des caméras de télé complaisantes, n’en déplaise à l’ineffable Marlène Schiappa ; le mois d’avril la vit invitée sur le plateau de « Touche pas à mon poste » par Cyril Hanouna, avec en vue l’opération « Quartiers sans relous » (sic) prévue pour août prochain. Voilà dans un tel libellé la preuve de la trivialité, de la vulgarité de notre époque ! Voilà qui équivaut à la chronique d’une mort annoncée d’une langue jadis resplendissante ! Un laminoir s’est mis inexorablement en marche, alors que rien dans une société n’est en acier inoxydable.

Marie-France Poirier