LA MORT EN DIRECT

(1980), drame de science-fiction français de Bertrand Tavernier avec Romy Schneider, Harvey Keitel, Thérèse Liotard, Harry Dean Stanton et Max Von Sydow.

Dans son papier du 26 mars 2021, suite au cassage de pipe de Bertrand Tavernier, le quotidien Libération résumait la carrière de « l’encombrant vieil oncle un peu radoteur du cinéma français (sic)» à sept longs-métrages de fiction, dont L’Horloger de Saint-Paul (1974), où « le ver de l’académisme est déjà dans ce premier fruit tout en trogne », Coup de Torchon (1981), où « le naturel de la démonstration lourdingue revient au galop » avec cette farce anticoloniale, Capitaine Conan (1996), « quelque chose comme Les sentiers de la gloire de Stanley Kubrick repavés à la truelle du bon sens moral près de chez nous », enfin Ça commence aujourd’hui (1999) rebaptisé « Ça commence à bien faire » ! Le journaliste Didier Péron, auteur de cette célébration, consent quand même à sauver Que la fête commence (1975) « porté par une certaine joie gracieuse » et Une semaine de vacances (1980), « portrait sensible d’une professeure en dépression portée par Nathalie Baye ».

Oui, libre à Libé de ne pas aimer Tavernier, mais là c’est un peu court … Difficile tout de même de résumer les vingt-deux long-métrages de fiction réalisés par cet artiste engagé, amoureux vorace du septième art, en si peu de lignes, qui plus est assassines. Pas un mot sur plusieurs de ses chefs-d’œuvre, et surtout pas un mot sur sa création la plus visionnaire tournée en 1979, La mort en direct. Quelques jours plus tard, Didier Péron préfèrera célébrer Patrick Juvet, le David Bowie suisse. Bon allez, pourquoi pas ?

Un grand film fantastique et lyrique

Pendant le tournage du Juge et l’assassin (1976), Bertrand Tavernier lit L’incurable de David G. Compton. Demain prédit le romancier, la télévision acceptera le spectacle de la mort en direct.

L’histoire est la suivante : Katherine Mortenhoe apprend qu’elle est atteinte d’un mal incurable. Elle n’a plus que quelques semaines à vivre. Elle signe un pacte avec le diable en acceptant d’être filmée, jour après jour, jusqu’à sa dernière heure. Elle fuit et se cache, lorsqu’elle découvre vers quel enfer la précipite sa décision : soudaine célébrité, harcèlement des médias, curiosité malsaine. Au cours de son échappée, elle rencontre Roddy, un homme qui devient son compagnon. Elle ignore que ce dernier, envoyé par la chaine de télévision qui veut faire un spectacle de son agonie, a une caméra greffé dans l’œil. Grâce à lui le programme a repris.

Tavernier imagine un grand film fantastique et lyrique autour de deux thèmes : le viol des consciences et le voyeurisme. Il fait appel au scénariste de Sydney Pollack, David Rayfiel, pour l’aider dans son entreprise : « Quelle attitude morale doit-on adopter pour capter une émotion, pour la voler, pour la fabriquer ? » Le cinéaste se livre à une réflexion sur son métier, sur la surconsommation des émotions, sur l’exploitation des peurs et des angoisses de ses contemporains. Pas question de créer des décors futuristes come ceux des films de SF qui envahissent les écrans à la fin des années 70. Le réalisateur choisit de tourner à Glasgow, ville troublante au style victorien imprégné par le monde de Dickens.

Un duo incontournable et sulfureux

Pour incarner Katherine Mortenhoe et Roddy, Tavernier imagine Romy Schneider et Harvey Keitel, alors que les producteurs préféreraient De Niro, Richard Gere, Diane Keaton ou Jane Fonda. Le milieu du cinéma se méfie de Romy que l’on dit imprévisible. Quant à Harvey Keitel il vient de se faire virer par Coppola du tournage d’Apocalypse Now, alors qu’il avait le premier rôle ! Courageux, Daniel Toscan Duplantier de la Gaumont accepte ce duo sulfureux et permet à Tavernier la réalisation de son cinquième long-métrage. La production attend que Romy soit libre. Les huit semaines de tournage de La mort en direct vont être difficiles, épuisantes, parfois conflictuelles.

« Boule d’énergie concentrée, prête aux pires excès pour se faire entendre, déroutante de générosité, éperdue de reconnaissance, Romy Schneider est une femme brûlée que trahit la tension de ses gestes. Quand elle ne comprend pas une indication, le sens d’une scène, elle se crispe, prête à exploser ou à craquer. Continuellement en manque d’affection, de tendresse, elle a besoin d’être aimée, de sentir qu’elle compte, confiait Tavernier» Il prendra soin de son actrice, qui avait une manière morale, absolument non truquée d’aborder l’émotion et le tragique.

Son partenaire américain, lui, passe pour un animal incontrôlable. Attaché de presse sur Mean Streets (1973) de Martin Scorsese, Tavernier avait repéré cet acteur sauvage comme un félin au regard tranchant : « On ne peut pas tourner avec lui sans avoir envie de le tuer, avoua Tavernier. Pour combler sa quête harassante de détail, il faut lui donner des raisons, au besoin les inventer pour le calmer. Quand on tourne, tout s’efface, Harvey Keitel est un acteur sublime, bouleversant, intègre et dévoué corps et âme au film. »

Un éloge de l’amour fou

Sous les lumières changeantes du ciel d’Ecosse, cette course contre la montre, émaillée de quelques morceaux de bravoure, parmi lesquels la course en plan séquence de Katherine Mortenhoe, s’achèvera en éloge de l’amour fou.

La mort en direct, sorti le 24 janvier 1980, dédié à Jacques Tourneur, explorateur de l’étrange au cœur du quotidien, est élu meilleur film français de l’année par la presse étrangère. Il est un avertissement et une grande œuvre romanesque servi par la sublime musique d’Antoine Duhamel. Libé n’en a rien dit, nous réparons modestement cet oubli.

Raphaël Moretto

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