Capitaine Hervé Moreau : le gendarme qui renverse la table !

C’est pire qu’une grenade quadrillée, un tir de mortier ou encore un scud ! Un livre ! Un brûlot signé par un capitaine de gendarmerie en poste pendant quatre ans à la compagnie de Beaune. Hervé Moreau rompt le devoir de réserve pour mettre au bac des accusés le système judiciaire français « qui cultive une impunité aujourd’hui inacceptables ». Rencontre avec un homme bien décidé à aller au bout de ses convictions, de son idéal et de son amour pour son pays.

Dijon l’hebdo : Ce livre, c’est en quelque sorte la révolte, le coup de gueule d’un gendarme de terrain, une façon de dénoncer la léthargie et les dérobades compassionnelles des institutions ?

Capitaine Hervé Moreau : « Absolument. C’est exactement ça. Une volonté de dire ce qu’il en est, d’évoquer ces réalités auxquelles j’ai été confronté depuis trop longtemps. Ce livre, j’ai commencé à l’écrire à la fin de l’année 2018, pour les victimes. L’élément déclencheur a été un jugement scandaleux, un de plus, un de trop qui a permis la libération d’un homme à l’issue de sa garde à vue. Un individu violent qui avait littéralement « massacré » sa femme. D’où ma volonté de faire savoir au grand public ce qu’il en est de ces gendarmes qui se dévouent à la sécurité, ce qu’il en est d’une compagnie de gendarmerie départementale, au jour le jour pendant quatre années ».

 

DLH : Exemples à l’appui, l’institution judiciaire, clé de voûte de la République française, est aujourd’hui dans un triste et inquiétant état. A quoi imputez-vous cette indigence de la justice ?

H. M : « Aux magistrats eux-mêmes. Nous maîtrisons, nous gendarmes, toute la chaîne judiciaire jusqu’au jugement. Nous interpellons, nous déférons, nous réunissons les preuves et le jugement appartient aux magistrats qui ne font pas leur travail. Des magistrats, ce sont pourtant la clé de voûte de notre République, de notre société. Et c’est un capitaine de gendarmerie d’active qui vous l’affirme : j’ai honte de la justice de notre pays. J’ai honte ! ».

 

DLH : N’est-il pas trop tard ? Cette réalité que vous dénoncez n’est-elle pas irréversible ?

H. M : « Non, il n’est jamais trop tard. Il y a beaucoup d’espoir dans mon livre. Je suis également force de propositions à partir de tous les constats que nous avons effectués mes hommes et moi. De vraies réformes sont à faire. Des réformes qu’attend tout un peuple. Nous ne pouvons plus continuer ainsi dans cette société où prévaut la loi du plus fort. C’est insoutenable. La délinquance des mineurs est de plus en plus précoce, de plus en plus violente, de plus en plus radicalisée. Devrons nous passer par des réformes constitutionnelles d’importance pour rendre à notre pays une justice digne de ce nom ? C’est possible ? Les juges devraient-ils devenir un pouvoir à part entière en étant élus comme le font les Anglo-saxons ? Doit-on rétablir les peines plancher qui ont été supprimées par Mme Taubira sous le quinquennat de M. Hollande pour parvenir à obtenir de ces juges qu’ils répriment et punissent ceux qui nous font tant de mal ? Ce n’est pas à moi d’y répondre, en tout cas pour le moment, mais je crois fortement en ces pistes possibles.

 

DLH : Le livre que vous avez publié s’appuie sur vos quatre années passées à la Compagnie de gendarmerie de Beaune ? Quatre ans à Beaune, ce n’est pourtant pas le bagne… ? Il y a pire comme affectation ?

H. M : « C’est vrai, ce n’est pas le bagne, ce n’est pas ce qu’il y a le plus difficile pour un officier qui se serait bien vu cependant dans une compagnie exposée en zone de sécurité prioritaire. Cela ne m’aurait pas déplu. Bien au contraire. Néanmoins, sur mes quatre années de présences à Beaune, j’ai pu mesurer une situation qui n’a eu de cesse de se dégrader avec toujours plus d’insultes, d’outrages, de coups portés aux forces de l’ordre, de violences, d’atteintes aux biens et aux personnes… Tout cela parce que les délinquants sont, le plus souvent, laissés libres et si peu emprisonnés. Arrêtés, relâchés… Arrêtés, relâchés… C’est le droit de récidiver, le droit de continuer à faire du mal. Les gendarmes continuent de faire au mieux mais ils en ont assez. Ils sont écoeurés par le fonctionnement de la justice ».

 

DLH : Et vous n’avez pas attendu d’être à la retraite pour écrire ce livre ?

H. M : « Non parce qu’il m’a semblé que cela n’en aurait que plus de force si les vérités sont signifiées dans ce livre étaient dites par un capitaine d’active qui continue de demeurer en fonction, qui continue de prendre des coups pour l’avoir écrit. J’ai reçu un blâme récemment de la ministre des Armées. C’est la mesure disciplinaire la plus élevée qui puisse être infligée à un officier français.

 

DLH : Qu’avez-vous répondu à Florence Parly, la ministre des Armées ?

H. M : « je lui ai dit que le déshonneur qui m’était infligé ne modifierait pas ma position, ne m’empêcherait pas de faire savoir ces vérités et que mon honneur je le retrouvais dans le regard des victimes que je protège. C’est tout ce qui m’importe ».

 

DLH : L’armée, dont fait partie la gendarmerie, n’est pas surnommée « La Grande Muette » pour rien…

H. M : « Effectivement. Il faut se taire quand on est gendarme mais j’estime que la situation est trop grave pour me taire. Il y a eu trop de renoncements, trop de lâchetés. Toute vérité n’est pas bonne à dire. Aussi j’ai pris la décision de faire valoir mes droits à pension. Aujourd’hui, je ne peux que partir après avoir écrit un livre choc d’une telle portée. Fondamentalement, moi ce qui m’anime au regard des convictions qui sont les miennes, c’est que je veux une autre société pour nos enfants, pour les générations qui nous suivent. On ne peut plus continuer ainsi avec cette irresponsabilité des magistrats ».

 

DLH : Blâmé par la ministre mais pas suspendu ?

H. M : « Non je n’ai pas été suspendu. Je suis resté en service. Je ne suis même pas certain que Mme Parly ait été au courant. Cette décision, les hautes instances de la gendarmerie nationale l’ont prise par délégation. C’est une punition si rare que j’ose espérer qu’elles en ont rendu compte à la ministre avant qu’elle ne me soit signifiée. Ce qui me réconforte, c’est que mes soutiens, et ils sont très nombreux, ont réagi de manière virulente parce qu’ils ont estimé que c’était une injustice profonde, une de plus, une de trop. Que je ne la méritais pas et qu’il fallait me considérer comme un lanceur d’alerte ».

 

DLH : Et vos collègues gendarmes, qu’ont-ils dit ?

H. M : « J’ai reçu de très nombreux soutiens de la part de mes camarades officiers et sous-officiers. Discrets soutiens, bien évidemment, mais terriblement réconfortants et émouvants de cette majorité silencieuse mais excédée. Ils n’ont pas manqué de saluer mon courage. Je suis bien conscient de ne pas faire l’unanimité car certains me reprocheront toujours d’avoir rompu le devoir de réserve. Mais je ne regrette rien ».

 

DLH : Comment se portent les ventes de votre livre ?

H. M : « Cela dépasse toutes mes espérances. Le livre n’était pas imprimé que nous avions déjà reçu 800 commandes. Les premiers échos dans la presse nous ont permis de franchir la barre de 5 000 ventes ce qui est remarquable pour un ouvrage auto-édité. Ce sont ensuite les médias nationaux -Le Figaro, BFM, M6…- qui m’ont donné une visibilité inespérée et qui ont littéralement fait exploser les ventes.

 

DLH : Que vous inspirent ces images vues et revues sur les télévisions montrant vos collègues malmenés par des manifestants de toutes sortes et ceux qu’on qualifie pudiquement de « jeunes des banlieues » ?

H. M : « Ce sont des situations dramatiques qui ne devraient pas être. Quand on bat en retraite devant les manifestants, c’est la République qui recule, c’est l’Etat qui est méprisé et cela n’est pas supportable. Force doit toujours rester à la loi ».

 

DLH : Que faire pour récupérer les territoires perdus de la République, reprendre pied dans ces zones de non-droit ?

H. M : « A mon sens, il faut une présence sur le terrain avec des médiateurs de rue dont il faut décupler le nombre. Et derrière, il faut une répression absolue, la plus intense possible, infaillible, contre ceux qui se rendent coupables d’actes illégaux, contre les quelques dizaines d’individus qui pourrissent la vie de milliers de personnes. Il faut être intransigeant et ne plus rien laisser passer. Et pour cela il faut des effectifs sur le terrain : gendarmes, policiers, magistrats… mais aussi représentants de l’URSSAF et des services fiscaux pour casser les trafics, les économies souterraines. La pierre angulaire de tout cela, ce sera la justice.

 

DLH : Est-il vrai qu’on cherche aujourd’hui à minimiser, minorer les actes de délinquance en orientant plutôt les victimes vers une main courante que vers une plainte classique ?

H. M : Cela arrive quelques fois mais force est de reconnaître que cela arrive quand même. Ca ne devrait jamais être ni dans une brigade de gendarmerie, ni dans un commissariat de police. Un préjudice quel qu’il soit doit faire l’objet d’un dépôt de plainte. C’est cette plainte qui va initier la démarche judiciaire. Si cela ne tenait qu’à moi, il n’y aurait plus de main courante.

 

DLH : Pourquoi les yeux des politiques restent souvent fermés ou se détournent-ils sur la réalité des faits que vous évoquez dans votre ouvrage ?

H. M : « Tout simplement parce qu’ils manquent de courage. Parce qu’ils sont lâches, parce qu’ils pratiquent le clientélisme. Si la classe politique ne se ressaisit pas, si les problèmes ne sont pas pris à bras le corps, les électeurs se tourneront vers les extrêmes ».

 

DLH : Que répondez-vous à Jean-Luc Mélenchon quand ils traitent policiers et gendarmes de « bons à rien capables de mettre des amendes à tout le monde » ?

H. M : « M. Mélenchon est un irresponsable qui fait beaucoup de mal en qualité d’élu de la nation. C’est de la pure démagogie, de l’instrumentalisation politique qui ne sert qu’à lui-même et certainement pas l’intérêt général. Il n’est malheureusement pas à un errement près. La probité, l’honnêteté, la loyauté à notre patrie valent plus que tous les calculs, toutes les hypocrisies, toutes les bien-pensances qui nous ont tant fait de mal ».

 

DLH : Vous allez quitté la gendarmerie ? Qu’allez-vous faire aujourd’hui ? On vous prête quelques velléités politiques…

H. M : « Je quitterai la gendarmerie le 24 mai prochain. A compter du 1er juin, je me lancerai très précocement dans la campagne des élections législatives 2022. Mon objectif sera d’être élu député de la Ve circonscription de Côte-d’Or. Je vais essayer, avec beaucoup d’humilité, d’aller au bout de mes convictions, des valeurs auxquelles je crois très profondément parce qu’elles sont pures, vertueuses et tellement porteuses d’espoir. Je serai candidat parce que des choix majeurs et difficiles nous attendent, parce que des décisions structurantes et courageuses devront être prises, et que nous ne pouvons plus ni reculer, ni tergiverser »

 

DLH : Avec le soutien d’un parti politique ?

H. M : « J’espère obtenir l’investiture des Républicains qui constituent ma famille politique même si beaucoup d’amis mettent en avant l’échec des partis. Après, s’il le faut, je me lancerai sur mon nom propre. Mon vœu le plus cher, c’est de devenir une voix puissante de la Bourgogne au sein de l’Assemblée nationale.

J’ai le bien commun chevillé au corps avec cette expérience et cette crédibilité d’homme de terrain qui a la prétention de savoir de quoi il parle. Je prétends être différent de tous ces politiciens qui se sont posés en donneurs de leçons, qui ont tant promis, qui ont tant déçu et qui, surtout, ont tant échoué ».

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre

 

Morceaux choisis

« Les forces de sécurité ne disposent toujours pas des moyens qui sont nécessaires à la bonne exécution de leurs missions. Il y a toujours de l’argent pour les « cas sociaux » mais ps pour les forces de sécurité intérieures, gendarmes ou policiers, ou alors si peu. C’est ce que nous nous disons tous, mais je suis le seul à le hurler ».

 

« Dans la même semaine, deux de mes gendarmes à Arnay-le-Duc contrôlent un individu, au volant de son véhicule, dont ils savent qu’il n’est plus titulaire du permis de conduire depuis un retrait judiciaire prononcé trois mois plus tôt. Ce dernier fait preuve d’agressivité, les tutoie d’emblée, les traite de « sales putes », refuse de se laisser contrôler. Il les bouscule et prend la fuite. Il sera rattrapé et maîtrisé mais blesse sérieusement l’un d’entre eux. Il est mis en garde à vue pour outrage, rébellion, violences volontaires, détention de produits stupéfiants, transport d’arme de catégorie B…

Chaque fois qu’un gendarme fait l’objet de menaces de mort, de violences volontaires avec ou sans ITT, outrages, rébellions, diffamations, il nous appartient de rédiger un message dit « Evénement grave » pour informer toute la hiérarchie et rendre compte au plus haut niveau de la difficulté que nous avons à exercer notre métier. Ce ne sont pas que des statistiques, cela recouvre une réalité particulièrement révélatrice de l’évolution dramatique de notre société. Chaque année passant, je rédige davantage de messages, je rends compte davantage d’insultes, de menaces, de violences perpétrées à notre encontre. La réalité est celle-là, et nous évoluons dans une dimension rurale pourtant tranquille, encore protégée et privilégiée. Vous imaginez aisément ce qu’il peut en être dans des dimensions urbaines et péri-urbaines toujours plus violentes et plus haineuses. Voilà ce que je constate année après année, ce que concourent à créer le laxisme de la Justice et le sentiment d’impunité qui anime les délinquants : « Je peux les insulter, les outrager, les menacer et exercer même des violences physiques à leur encontre puisque je ne risque rien ou presque ! ». La Justice est incapable de véritablement protéger policiers et gendarmes, qui la secondent et qui la servent, et sans lesquels elle ne serait rien. Cela me révulse et me scandalise. Cela arrive moins dans les autres pays. Cela n’est pas juste. Les choses doivent changer. La gendarmerie est censée accorder une protection juridique fonctionnelle aux militaires victimes, dans l’exécution de leurs fonctions. Mes hommes ne la sollicitaient même plus. Celle-ci ne se traduisait jamais, dans les faits, par la présence d’un avocat à la barre, susceptible de les défendre au Tribunal Correctionnel. Cela, alors que les malfrats, eux, sont toujours et systématiquement défendus. Ils bénéficient de l’aide juridictionnelle gratuite, aux frais de la Justice, et donc du contribuable. Ils font du mal à la société et celle-ci finance leur défense et leur laisse le bénéfice de toutes les aides sociales dont ils usent et abusent ».

 

« Au mois de mars (NDLR : 2019), les Renseignements Territoriaux (RT) nous font part de la possible venue de « black blocks » et autres anarchistes sur Beaune, à l’occasion d’un nouveau samedi de manifestation des « gilets jaunes ». Leurs intentions seraient particulièrement violentes. Ce serait très étonnant mais sait-on jamais… Au cours de la réunion hebdomadaire de sécurité, le sous-préfet n’en mène pas large. Il est soucieux, inquiet, préoccupé. On pourrait presque s’autoriser à penser qu’il a peur ! Cela change de ses postures habituelles. Il nous fait remettre par son Secrétaire Général toutes les cléfs et badges donnant accès à la sous-préfecture et il nous demande, au commandant de police et à moi-même, si nous serons prêts à la défendre (et donc à le défendre), en cas de menaces avérées ? Cela en dit très long sur la valeur de la haute fonction publique : ils sont très bien payés pour ce qu’ils font, ils bénéficient de la sécurité de l’emploi et de conditions de travail souvent exceptionnelles, ils ne connaissent que très peu la pression en comparaison de ce qui est identifié au sein du secteur privé… Et il y a pourtant bien des incompétents parmi eux ! La République mérite mieux que cela au plus haut niveau de l’administration ».