François Rebsamen : « C’est un véritable lien qui s’est créé avec les Dijonnais »

Le dimanche 25 mars 2001, François Rebsamen était officiellement installé maire de Dijon. Réélu depuis à chaque scrutin, il regarde toutes ces années avec la conviction d’avoir fait le travail. Et plutôt bien. L’envie et la passion sont toujours là et il pense sincèrement qu’il a encore la capacité de faire de belles choses pour Dijon et la Métropole. Tout en donnant quelques indices sur sa succession…

Dijon l’Hebdo : Les premières élections municipales du XXIe siècle à Dijon ont poussé dans les livres d’histoire bon nombre d’acteurs de la fin du millénaire précédent. Vous n’avez pas le fétichisme des dates. Pourtant celle du 18 mars 2001 restera certainement gravée dans votre mémoire à tout jamais ?

François Rebsamen : « 20 ans déjà ! Le temps passe vite… Effectivement, c’est une date qui est gravée dans ma mémoire. Elle marque le début d’un nouveau siècle, la fin d’un cycle politique, d’une époque où on calculait encore en francs… Et, surtout, la date du changement à Dijon ».

DLH : Longtemps, les états-majors parisiens avaient tenu Dijon pour une cité imprenable et ses socialistes pour quantité négligeable. Et pourtant, il y a tout juste 20 ans, vous avez conquis la ville au nez et à la barbe d’une droite médusée. La mayonnaise a pris… Quelles étaient ses ingrédients ?

F. R : « Je suis arrivé à convaincre les Dijonnais de ma volonté de ne pas utiliser la ville comme un marche-pied politique mais comme une envie d’action pour Dijon. Et ils ont cru à la sincérité de ma démarche. Raison pour laquelle j’avais refusé la venue du Premier ministre Lionel Jospin entre les deux tours. Mon choix, c’était Dijon et j’étais engagé dans un combat pour Dijon. Progressivement, je pense avoir réussi à gagner le cœur des Dijonnaises et Dijonnais qui souhaitaient un changement. Ca s’est joué à pas grand chose face à un adversaire coriace (1) qui avait été président de Région, installé avec le soutien de vieilles familles dijonnaises, de réseaux qui s’étaient construits au fil du temps avec Robert Poujade. Cela a été un combat difficile mais un beau combat démocratique ».

DLH : Cette victoire locale, vous l’avez obtenue à la troisième tentative. De vos mentors, vous aviez reçu des leçons capitales. La patience, notamment…

F. R : « J’ai raconté cette histoire pendant toute la campagne municipale et cela m’a porté chance. En même temps, ça me motivait. C’étaient les paroles de François Mitterrand : « Comment pouvez-vous y penser la première fois ? Peut-être la deuxième tentative… Sûrement la troisième… à condition que vous soyez toujours là ». J’étais toujours là et c’était maintenant où jamais. Et ça été maintenant. C’est quelque chose de fort dans une histoire personnelle car il a fallu beaucoup de pugnacité, de ténacité. C’est qui me caractérise toujours aujourd’hui : je ne lâche rien ».

DLH : Après l’ambiance de guerre froide des premiers jours, la transition a pris un cours plus serein. Avec une sorte de culot tranquille – la force tranquille arrivera après – vous n’avez pas ménagé vos efforts pour donner un visage cordial, voire même amical, à la fonction de maire…

F. R : « J’aime bien les gens. Certains y verront une qualité, d’autres un défaut. J’aime bien le contact, échanger y compris avec ceux qui ne m’apprécient pas forcément. Comme tous les élus, je préfère ceux qui m’aiment mais l’important était de faire passer ce message qu’arrivait quelqu’un de différent. On ne peut pas dire que Robert Poujade était dans la sympathie acquise. Il était plutôt sur son Aventin. C’était une personnalité du siècle d’avant avec une réserve toujours très prudente. Moi, j’étais et je suis resté quelqu’un d’ouvert qui donne sa confiance a priori. C’est ce qu’attendaient les habitants ».

DLH : Des habitants qui n’avaient pas l’habitude de voir le maire sortir de son bureau pour aller acheter ses cigarettes…

F. R : « Acheter des cigarettes, ce n’est pas ce que j’ai fait de mieux dans ma vie. J’en profitais pour boire un café et discuter avec les Dijonnais. Vivre comme eux finalement. Et je m’y tiens toujours d’ailleurs. On peut me voir faire mes courses à Dijon, aller sur le marché… et pas seulement en période d’élections ».

DLH : Vous souvenez-vous des sept défis que vous aviez lancés à cette époque ?

F. R : « C’est étonnant que vous me posiez cette question. C’est précisément ce que m’ont demandé des amis il y a peu. Je les ai fait sourire car il m’a fallu un peu de temps, le temps de rassembler des souvenirs épars. Je vous rassure, je leur ai répondu dans les grandes lignes mais je dois reconnaître que je n’avais pas retenu par cœur avec une totale précision, en plus les années ont passé, ces sept grands défis du moment. Du coup, le soir même, je me suis replongé dans mes archives et j’ai retrouvé nos slogans de la campagne de mars 2001. Les voici : réveiller la démocratie locale et la citoyenneté, renforcer la sécurité, assurer la solidarité, améliorer la ville et l’ouvrir à la culture, améliorer la qualité de la ville, faire vivre la communauté d’agglomération et affirmer Dijon dans son rôle de capitale régionale.

Maintenant, ne me demandez pas de vous donner sur le champ les 100 propositions qui m’ont permis d’être réélu en 2008… Sinon c’est une machine que vous auriez devant vous ».

DLH : Même si votre prédécesseur avait été le premier ministre de l’Environnement, l’écologie n’était pas pour autant présente en tant que telle dans le programme qui vous a permis d’être élu en 2001 ?

F. R : « On ne vivait pas la situation préoccupante d’aujourd’hui. La question n’était pas aussi prégnante. Et pourtant, quand je suis arrivé, j’ai trouvé une situation délicate, à savoir une usine d’incinération qui n’était pas aux normes, une station d’épuration qui ne l’était pas non plus, une rivière de l’Ouche qui était hyper polluée… et je rappelle qu’il y avait, chaque jour, 1 350 bus au diesel qui passaient rue de la Liberté. J’ai découvert ces problèmes que je pensais, avec un peu de naïveté, traités. J’ ai reconnu, à l’époque, que les écologistes qui m’entouraient avaient contribué à ouvrir les yeux sur ces questions. Aujourd’hui, ils ont abandonné leur pragmatisme pour devenir dogmatiques. C’est dommage parce qu’on a bien travaillé ensemble pendant 19 ans. 

Est-ce que je m’imaginais, en 2001, racheter un jour une ferme à Dijon ? Planter de la vigne ? Même si mes prédécesseurs avaient été précurseurs en la matière avec les Marcs d’or. Souvenons-nous que le plateau de la Cras était destiné à l’urbanisation comme l’ont été la Fontaine d’Ouche et le Belvédère à Talant. Ce qu’on n’a pas fait de mieux en matière d’urbanisme, reconnaissons-le. Ce n’est pas la ville dont on rêve en terme de construction aujourd’hui ». 

DLH : Au fil des mois, vous avez imposé un style, un ton, une méthode. Etes-vous d’accord sur le fait que cette manière pourrait être qualifiée à la fois de consensuelle et rugueuse ? 

F. R : « Oui. Louis de Broissia, ancien président du conseil général de la Côte-d’Or, disait de moi que j’étais Docteur Jekill et Mister Hyde… Ca ma toujours fait sourire car autant je me vois bien en Docteur Jekill, par contre, j’ai du mal à me concevoir en Mister Hyde. Je suis d’un naturel courtois, poli, respectueux. Par contre, quand il faut défendre la ville, c’est vrai, je peux être Mister Hyde et me battre pour elle. Ils étaient un certain nombre à avoir pris l’habitude de s’essuyer les pieds sur la ville parce qu’elle était devenue « socialiste ». Je n’ai jamais manqué de réagir quand il le fallait. Nous avons imposé le respect et cela s’est traduit par des faits. Je pense notamment aux contractualisations avec le préfet Lépine, représentant de l’Etat, Jean-Pierre Soisson, président du conseil régional de Bourgogne, Louis de Broissia, président du conseil général, malgré nos différents politiques. Cela a permis de lancer l’agglomération et de profiter d’un véritable rayonnement. C’était une autre époque. Je la regrette quand je vois aujourd’hui le comportement du Département à notre égard. Les relations étaient à peu près normales jusqu’à l’inauguration du tram dans lequel le Département a tout de même injecté 20 millions. Et puis il y a eu une cassure, une coupure. François Sauvadet a été saisi d’une peur, d’une angoisse. Je ne sais pas trop. Il y a peu d’espoir. ». 

DLH : Et la ville s’est offerte durablement à la gauche…

F. R : « C’est plus compliqué que cela. Je suis de gauche, personne n’en doute. Je suis socialiste, je l’ai répété durant toute la dernière campagne ce qui n’est pas très porteur aujourd’hui quand on voit l’état du parti socialiste. J’ai des convictions social-démocrates, écologistes, européennes affirmées. La sincérité de mes convictions a contribué à renforcer cette équipe municipale qui est toujours là, réélue quatre fois, en triangulaires, dans les conditions rendues difficiles par la pandémie, après l’affaire des Tchétchènes qui ne m’a pas facilité la vie politiquement… De la sainte famille de Pie X à M. Bichot en passant par des collectifs de citoyens qui ne veulent pas qu’on construise de logements, je prends des coups tous les jours. Malgré ces vents contraires, on tient toujours bon la barre. Je me dis que si la droite continue comme ça, elle n’est pas prête de revenir car les gens sont globalement contents. Ils sont satisfaits de vivre à Dijon… et satisfaits de leur maire. Ce qui est finalement normal dès lors que le maire fait plutôt bien son boulot, qu’il soit de droite ou de gauche ».

DLH : Peut-on dire que votre popularité a évolué selon une sinusoïde passionnelle ?

F. R : « J’aime Dijon. C’est un véritable lien qui s’est créé avec les Dijonnais. Un lien d’autant plus facile à créer dès lors que les habitants se sentent bien dans leur ville. Malgré l’usure qu’il ne faut pas nier, ce lien reste très fort. L’envie, je l’ai toujours. Je crois sincèrement que j’ai encore la capacité de faire des choses ».

DLH : Depuis 2001, votre ambition n’a jamais fléchi : faire de Dijon « la nouvelle grande ville de l’Est de la France ». Objectif atteint ?

F. R : « Objectif atteint mais il ne faut pas s’arrêter. Toutes mes actions vis à vis des gouvernements qui se sont succédé ont été concentrées sur Dijon. Encore aujourd’hui, quand je rencontre Emmanuel Macron, c’est pour lui parler de Dijon. Pareil avec les ministres. Dijon, c’est ma passion. Après tout, c’est une grande et belle passion une ville comme ça. J’essaie d’inculquer aux élus qui sont à mes côtés cette capacité à dépasser le débat politique national pour l’intérêt de la ville et de la métropole. Tout en conservant leurs convictions bien sûr ». 

DLH : « Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait » est un film qui figurait parmi la sélection des César. N’est-ce pas aussi une maxime que vous pourriez apposer à l’entrée de votre bureau ?

F. R : « Absolument mais je pourrais aussi en mettre une autre, un film qui a reçu plus de récompenses, quand je vois les critiques qui me sont adressées : « Adieu les cons » d’Albert Dupontel.

DLH : Ce film met en avant des mésaventures sentimentales… En quelque sorte la fugacité du sentiment amoureux moderne… Des mésaventures, en avez-vous vécu avec les Dijonnais ?

F. R : « De profondes mésaventures, non. Il y a eu des moments difficiles pour eux et pour moi. En 2014, j’ai été nommé ministre du Travail et de la cohésion sociale. J’ai senti à mon retour, après le décès d’Alain Millot en septembre 2015, un peu de désamour, de reproches des Dijonnais qui auraient finalement préféré que je reste auprès d’eux. Il a fallu convaincre de la sincérité qui a toujours été la mienne. J’ai eu d’autres sollicitations de la part de François Hollande. Je n’en ai pas fait état mais je les ai toujours déclinées ».

DLH : Si vous deviez établir le Top 5 de vos réalisations…

F. R : « Pas facile. Il y aurait de la culture avec le musée des Beaux-Arts. Il y aurait de la mobilité avec le tram. Il y aurait du sport sous toutes ses formes, des terrains synthétiques aux licences sportives en passant par le stade Gaston-Gérard. Il y aurait du social avec l’accompagnement des plus défavorisés, la rénovation des quartiers, la mise en place du taux d’effort. Et puis il y aurait de l’écologie avec tout ce qu’on a pu faire depuis vingt ans : une nouvelle station d’épuration, une usine d’incinération. Ce n’est pas forcément le plus clinquant mais ça traite les eaux usées de 300 000 habitants, les ordures ménagères de 480 000 habitants… ».

DLH : Quels pourraient être les moments forts des 20 prochaines années ?

F. R : Les grands objectifs pour demain c’est d’avoir la 1èremétropole hydrogène de France. Une métropole exemplaire en matière écologique qui refuse de s’étaler tout en garantissant le droit fondamental au logement, qui renforce la part des mobilités douces dans les déplacements des habitants. C’est vrai que je suis contre la création de lotissements sur des terres agricoles. On nous reproche de construire en ville, de densifier. J’invite les écologistes à bien y réfléchir. Un autre grand projet qui révolutionnera, très bientôt, l’attractivité et le dynamisme culturel, touristique et économique de la métropole, c’est la Cité Internationale de la Gastronomie et du Vin. La gastronomie et le vin font partie de notre identité, de notre art de vivre, de notre patrimoine. A Dijon et en France. L’ouverture sera un temps fort du mandat et un grand moment pour la ville. J’ai d’ailleurs invité le Président de la République à l’inauguration. Un autre axe prioritaire pour moi est ce que j’appelle l’alliance des territoires. Les liens entre la métropole et les territoires qui l’entourent sont très importants. Nous traitons par exemple les eaux usées de Velars-sur-Ouche, Messigny-Vantoux, Asnières-les-Dijon… Je souhaite faire savoir ce que la métropole fait pour les autres territoires dans un échange gagnant-gagnant, sur l’eau, la gestion des déchets, le commerce, la culture, l’emploi, les mobilités… Faire savoir aussi que Dijon est heureuse de participer au développement et à la vie du département et de la région. La métropole est constamment prête à jouer son rôle de métropole accueillante pour toutes et tous. Le CHU par exemple, qu’on a accusé à tort de vouloir tuer les hôpitaux de proximité, fait énormément pour les habitants de la Côte-d’Or et de toute la région. C’est une chance d’avoir un établissement de pointe qui figure dans les 15 premiers CHU de France. Même si le Département tente de faire passer la métropole pour celle qui est contre les communes rurales, ma bataille demain, ce sera de faire accepter l’idée que la Métropole est le partenaire majeur des EPCI (2).

DLH : S’il vous était possible de faire une folie pour les Dijonnais, quelle serait-elle ?

F. R : « J’en ai déjà fait beaucoup… Nous avons une grande équipe de basket. Les résultats de la JDA me laissent admiratif. C’est incroyable et formidable ce que réussit son entraîneur. Si j’avais une double folie, ce serait celle-ci : maintenir la JDA au niveau qui est le sien aujourd’hui et offrir une belle équipe de foot aux Dijonnais ».

DLH : Le DFCO en Ligue des Champions, ça serait la folie suprême ?

F. R : « Pourquoi pas en coupe de l’UEFA ? C’est arrivé à Reims. C’est possible demain pour Metz ou Lens. Il faut avoir de l’ambition, les moyens financiers et ne pas se tromper dans le recrutement. Aujourd’hui, avec le DFCO, j’ai honte pour la ville. Ce ne sont plus des joueurs qui évoluent sur le terrain mais des mercenaires. Il reste heureusement quelques piliers. Il faut les garder pour l’année prochaine ».

DLH : Le prochain maire de Dijon, ce n’est pas pour tout suite, mais vous le ou la verriez comment ?

F. R : « Je verrais bien une jeune femme, dans la quarantaine. Je ne donnerai pas sa couleur de cheveux parce qu’on la reconnaitrait tout de suite. Une personne courageuse, qui s’est bien préparée, qui travaille beaucoup, qui aime sa ville et ses habitants. Ca ferait certainement une très belle maire de Dijon ».

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre

(1) Le 18 mars 2001, au soir du second tour, la liste de François Rebsamen recueillait 23 330 voix et 52,14% des suffrages contre la liste conduite par Jean-François Bazin, 21 419 voix et 47,86%).

(2) Etablissement public de coopération intercommunale