Le caractère, vertu des temps difficiles

Les temps difficiles, entre Covid 19 et actes terroristes, ce sont actuellement les nôtres. Mais la France en a traversé d’autres, beaucoup plus redoutables qui auraient pu conduire à sa disparition en tant qu’état indépendant, comme après les désastres militaires de 1870 et de 1940. Dans ces périodes d’effondrement notre pays a su trouver une forte personnalité qui a pu le conduire au redressement. Il ne s’agit pas de tomber dans le mythe de l’homme providentiel mais de constater qu’un français, dans les deux cas, par sa volonté, son obstination, son refus de l’adversité, bref son caractère a su s’élever au dessus des autres pour les convaincre de ne pas se résigner à la défaite et se donner les moyens, par des efforts, et même des sacrifices de relever le pays de sa ruine. Dans le premier cas ce fut Adolphe Thiers, dans le second Charles de Gaulle.

Ces crises aigües et dramatiques ont comme conséquences le désarroi, la perte de confiance du peuple en lui-même, la perte de repères aussi, qui peuvent conduire à briser l’unité nationale, voire à la guerre civile comme en 1871.
Le cas de « l’Étrange Défaite », pour reprendre le titre du livre de Marc Bloch, est à ce propos riche d’enseignements. Devant l’ampleur du désastre en mai 1940 nos parents ont eu le choix entre l’abandon ou le courage, subir ou résister, entre un protecteur ou un sauveur. Ils ont choisi, dans une très large majorité, celui qu’ils pensaient le plus à même de les protéger, le maréchal Pétain, « le vainqueur de Verdun ». C’était la voie de la facilité pour, croyaient -ils «  atténuer le malheur »de la France, éviter  le pillage économique du pays, et tout compte fait, au moins dans la zone non-occupée, reprendre la vie habituelle. La désillusion fut rapide mais le mal était fait.

Ne les blâmons pas, posons-nous la question de savoir ce que nous aurions fait en de telles circonstances.
En face de « l’illustre soldat », adulé des anciens combattants, s’est dressé un général de brigade à titre temporaire, bref sous-secrétaire d’Etat à la Guerre et à La Défense nationale , inconnu de la quasi-totalité des français, de surcroît exilé en Grande-Bretagne, bientôt condamné à mort par contumace pour trahison et désertion, qui les exhortait à continuer le combat.
Pour lui rien n’était perdu, l’espérance ne devait pas disparaître car la défaite n’était pas définitive. Il fondait sa conviction sur l’importance de l’Empire colonial français, sur la détermination de la Grande Bretagne et sur la certitude, qu’à un moment ou un autre, les États-Unis entreraient en guerre contre l‘Allemagne. Il ne fut suivi que par une infime minorité de nos compatriotes, qui comme lui, acceptèrent les sacrifices, les épreuves longues et douloureuses et de risquer leur vie pour l’honneur de la France. 

Dans le même temps, Winston Churchill, nouveau Premier ministre britannique qui affirmait « We shall never surrender » ne promettait pas d’autres choses à son peuple que « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ».
Ce qui liait ces deux hommes, que leur forte personnalité, malgré leur but commun de la défaite de l’Allemagne, a souvent opposé, parfois avec une extrême violence, était leur force de caractère, ce caractère dont le général de Gaulle a dit qu’il était la vertu des temps difficiles.
La double épreuve, celle de la pandémie et de la menace du terrorisme islamique, que traverse notre pays n’est pas comparable à celle de 1940. Elle n’en est pas moins redoutable pour notre sécurité physique, sanitaire, économique et sociale. Pour résister à ces temps difficiles, pour éviter que l’unité nationale vole en éclat il faut que nos dirigeants, et en particulier le premier d’entre eux, le Président de la République aient une force de caractère exceptionnelle car ils vont devoir prendre des décisions qui auront pour conséquences, non pas, espérons-le, du sang et des larmes mais du labeur et de la sueur. Le Président a pour lui la force du verbe; aura-t-il celle des actes?

C’est un homme de culture, il sait qu’Adolphe Thiers «  le libérateur du territoire » a été en 1873 contraint à la démission par l’Assemblée nationale, que Winston Churchill a perdu la majorité aux élections législatives de 1945 et que le général de Gaulle a dû quitter le pouvoir en 1946 dans les conditions que l’on sait.
Les peuples, une fois le péril écarté sont ingrats envers leurs « sauveurs ». Le Président de la République ne l’ignore pas, il a conscience que les actes courageux, pas forcément populaires, mais nécessaires qu’il faudra prendre pour le redressement du pays pourront le conduire à être désavoué par les électeurs. C’est pourquoi puisse-il être vertueux dans ces temps difficiles. Il y va de notre avenir.

Yves Amphoux