Je suis tenu par contrat irréfragable, envers vous, chers lecteurs, envers « Dijon l’Hebdo » et envers moi-même de proposer chaque mois dans cette rubrique une critique au vitriol d’un navet fétide, d’un strudel filmique scrofuleux. Et c’est là justement où les Athéniens s’atteignent (ça teigne ?) et où les difficultés commencent : car il n’est pas aisé de trouver des navets dignes de ce nom ! Des films simplement médiocres, ratés, inconsistants, insignifiants, cela court les rues et les écrans, mais des navets typés, marqués et marquants, superbes et généreux, offrant matière à la satire et à l’ironie, cela ne se rencontre pas sous la moindre pile d’exemplaires de « Télérama ».
Alors, ma (mauvaise) foi, je me laisserai aller à traiter de temps à autre comme navetons des métrages souvent remplis de défauts, quand même, mais pas forcément inintéressants, ne serait-ce que comme témoignages d’une époque, d’une mode, d’une idéologie. Il en va ainsi des films de Dusan Makavejev, cinéaste yougoslave très prisé dans les années 1970 de l’intelligentsia européenne baignée de révolutionnarisme de pacotille. Il convient peut-être de noter, avant de poursuivre, que le régime yougoslave d’alors tolérait voire encourageait des artistes subversifs, incontrôlables, érotiques ou se revendiquant du surréalisme – ne serait-ce que pour emmerder le pouvoir soviétique que Tito détestait plus encore que l’Impérialisme Américain. A une époque qui alliait la révolution sexuelle (qui n’avait pas que de mauvais côtés) et le freudo-marxisme, Dusan Makavejev tombait bien. En 1970, il signait « W.R. ou Les Mystères de l’Organisme », parabole truculente qui mêlait l’évocation du célèbre psychanalyste William Reich à celle de Staline, et à celle d’un patineur étoile russe finement prénommé Wladimir Illitch. Makavejev définissait son film, à sa sortie, comme « une comédie d’humour noir, un collage pop’art, un essai philosophique et un cirque politique » - rien que ça. On retrouve la même inspiration et la même esthétique de surréalisme bidon dans « Sweet Movie » (1974) où le collage et le foisonnement d’images atteint un niveau d’incohérence digne d’éloges mais qui peut faire rire un public particulièrement décadent – dont moi quand je fais un effort.
Le problème, c’est que « Sweet Movie » pourrait être un honorable film de cul, mais qu’il cherche à être un film de cul intellectualisé, un nobélisable de la fesse. Les acteurs et les actrices que l’on voit souvent à poil appartiennent à la cohorte du cinéma d’auteur de la période : Carole Laure, (foutredieu, qu’est-ce qu’elle est belle !), Anna Prucnal, Sami Frey, John Vernon et Pierre Clémenti, en marin du Potemkine voyageant à travers le temps. Si l’on veut trouver un fil conducteur à ce flux d’images incontrôlées, sous les regards vicieux du Christ, de Lénine, de Staline et de Trotski, on pourrait dire que deux ou trois femmes cherchent la Fesse Suprême qui serait la synthèse trinitaire de la Révolution, de la Chair et de la Mystique.
Pour cela, elles traversent les milieux les plus divers : celui des gros capitalistes yankees, qui ont une verge plaquée or (chic et de bon goût), celui des culturistes noirs, celui du cinéma (où Dusan Makavejev tourne un film fictif dans son film réel), celui de la restauration parisienne, celui des hippies drogués d’Amsterdam, celui des communautés anarcho-artistiques dont la communauté de La Voie Lactée qui a réellement existé dans les années 1970 et qui fournit ici la plupart de ses membres pour une scène d’orgie qui fait ressembler « La Grande Bouffe » de Marco Ferreri à un thé entre vieilles dames anglaises. Pour rendre le propos encore plus vomitif, ces séquences sont parfois entrecoupées de bandes d’actualité montrant des charniers de la Seconde Guerre Mondiale.
Que choisirez-vous donc entre le cul impérialiste américain, le cul héroïquement prolétarien des marins virils du Potemkine, le cul gauchisant des nouvelles internationales, le cul innocent de petits gamins qui cherchent l’aventure (exclusivement hétéro c’est un film moral) sur les quais d’Amsterdam, le cul mortifère de l’Histoire en convulsion, le vieux cul cynique et faisandé de la Société du Spectacle ? Les tétons de Carole Laure, parfois aspergés de chocolat fondu, d’où le titre sans doute, reviennent sans cesse au long du film pour vous éclairer et guider votre choix.
Références : « Sweet Movie », France / Canada / Allemagne, 1974.
Film difficile à trouver aujourd’hui, susceptible d’être enregistré en version anglaise sur certains sites peu accessibles. Mais Carole Laure mérite un effort.