LAËTITIA

Série dramatique française en six épisodes, de Jean-Xavier de Lestrade, d’après le récit d’Ivan Jablonka, avec Marie Colomb, Sophie Breyer, Yannick Choirat, Sam Karmann, Kevin Azaïs, Noam Morgensztern et Alix Poisson.

Un scooter roule dans la brume, une nuit d’hiver. Le lendemain, le deux-roues est retrouvé devant le domicile de la famille Patron. Mais où est passé Laëtitia, la conductrice qui vit depuis l’enfance avec sa sœur jumelle Jessica dans cette maison où elles ont été accueillies ? La gendarmerie ouvre une enquête, qui les mène rapidement vers le récidiviste Tony Meilhon …

DES HOMMES À LA HAUTEUR

Il y a des récits dont on ne ressort pas indemne.

Laëtitia Perrais avait 18 ans et la vie devant elle. Dans la nuit du 18 au 19 janvier 2011, elle a été enlevée. Puis tuée. Par la vague d’émotion sans précédent qu’il avait soulevée, ce fait divers était devenu une affaire d’État. À travers une enquête sur la vie de Laëtitia, l’écrivain historien Ivan Jablonka dans Laëtitia ou la fin des hommes rendait à la jeune femme sa liberté et sa dignité : un récit poignant, historique et citoyen, à la mesure de la destinée de cette jeune fille, un thriller à couper le souffle, couronné par le Prix Médicis et le Prix littéraire du quotidien Le Monde.

Il fallait un metteur en scène à la hauteur de la frondeuse mutique Laëtitia, à la hauteur aussi de la narration réanimante de Jablonka, pour tenter l’aventure de la fiction sérielle.

En 2002, le réalisateur français Jean-Xavier de Lestrade est oscarisé pour son documentaire sur Brenton Butler, un adolescent noir accusé du meurtre d’une touriste blanche à Jacksonville en Floride : UN COUPABLE IDÉAL. Un suspense insoutenable, haletant et inoubliable grâce (déjà !) à un grand sens du montage. Depuis le documentariste s’est tourné vers la fiction, souvent inspirée de faits réels, avec une maestria impressionnante. On lui doit notamment les séries 3 x MANON et MANON 20 ANS, portrait d’une jeune femme à la dérive dans lequel il excelle, et l’exceptionnel JEUX D’INFLUENCE, thriller documentaire sur les lobbies de l’agrochimie. Jean-Xavier de Lestrade était bien l’homme de la situation pour s’emparer décemment de Laëtitia.

UNE ADAPTATION DIGNE ET INSPIRÈE

Aidé par son coscénariste Antoine Lacomblez, il a eu le courage d’adapter Jablonka. Les deux hommes ont lu également les trois-mille pages du dossier d’instruction, constitué minutieusement par l’adjudant chef Touchais en charge de l’enquête : l’acteur Yannick Choirat, qui incarne le gendarme dans la série, est incroyable de calme et de détermination. Touchais a cherché à comprendre qui était Laëtitia, ne la résumant jamais ainsi à sa mort, la ressuscitant dans toute sa dimension d’enfant et de femme, jamais épargnée par la vie.

Lacomblez et de Lestrade dressent également une galerie de personnages contrastés, témoins et acteurs d’une tragédie qui s’écrit de manière évidente. Mêlant les images de la fiction avec celles des JT de l’époque, ils parviennent à nous immerger dans la France hivernale de 2011. On y retrouve le Président de la République à la fin de son mandat : Nicolas Sarkozy s’empare de l’affaire pour régler son compte à la justice, provoquant la colère évidente des magistraux. Un style contestable qui le conduira à l’impasse de 2012.

UN MONDE TOXIQUE ET INEXORABLE

LAËTITIA pourrait être aussi la version réaliste de TWIN PEAKS, cette fiction montrant elle aussi le difficile travail de deuil réalisé par l’entourage de Laura Palmer, personnage féminin lynchien, aux prises avec un monde féroce.

Ce monde toxique et inexorable est bien présent dans LAËTITIA. Au cœur de la série, le rôle de la sœur jumelle jouée par Sophie Breyer de manière bouleversante, est central et déterminant. Toute l’interprétation est magistrale, en premier lieu celle de la jeune Marie Colomb, fugueuse et fougueuse Laëtitia, toute en énergie solaire et instabilité fugitive. La fidèle Alix Poisson, découverte notamment dans la série LES REVENANTS, apporte toujours sa fragilité et sa détermination à des personnages complexes et à la voix grave. Et que dire de Noam Morgensztern, effroyablement extraordinaire en Tony Meilhon !

Gravité également chez le compositeur Belge Raf Keunen, qui signe une partition de violoncelle et piano pour soutenir ce monde implacable, avec tension et émotion.  Les moments de joie sont aussi présents dans ce récit éclaté, conte cruel où la voix de Véronique Sanson résonne comme une accalmie, dans la lumière des spots de la nuit ou celle des paysages du Nord de la France.

Un grand moment de fiction, vibrant hommage à une jeune femme tragiquement disparue.

Raphaël Moretto

À lire

Laëtitia. Ou la fin des hommes d’Ivan Jablonka, 456 pages. Points, 2020.