Macron Cœur de Lion, lorsqu’il se croyait Jupiter, parlait la langue énarque. Les Gilets Jaunes, les grèves, l’ont vu en animateur infatigable de cafés du commerce – un cran sémantique et deux niveaux de l’argumentaire en dessous. Coronavirus oblige, sa logomachie descend jusqu’aux sphères les plus appauvries de l’exercice. Son saut récent dans un établissement d’enseignement primaire d’une banlieue parisienne en est l’illustration. Pour la circonstance, il avait emprunté à Zorro son célèbre masque. Une fois dégainé cet accessoire sanitaire quasi hollywoodien – « coucou, c’est moi le Président qui vous rend visite » -, les gentils mouflets n’ont que peu moufté… Voilà donc campé le décor de la classe où Emmanuel Macron a évolué en gentil et benêt maître des écoles. Avouons qu’il fut pitoyable tant sur le fond que sur la forme, au point que son monologue du tocsin d’avant-déconfinement affichait le look d’une rédac de CM1. La France a beau être « nation apprenante » comme le claironne son staff de conseillers, on était là loin de l’excellente copie qu’il nous avait rendue lors des obsèques de Jean d’Ormesson. Retenons de ce show devant ces très jeunes scolaires la notation dont aurait dû le gratifier un jury de profs : « Elève Macron peut mieux faire ! » Alors armé pour trois semaines de joyeuses colonies de vacances notre Président?
Dès le lendemain – il avait rendez-vous avec le monde de la culture – il est apparu tel un garnement hirsute, vainqueur d’un jeu de la balle au prisonnier dans la cour de récréation. Un gros plan à l’écran nous l’a montré manches de chemise retroussées, visage allumé et excité, jacassant sur l’univers d’une culture en déroute avec des banalités affligeantes, sans réelles propositions ou innovations. Il s’est borné à proposer aux univers du théâtre, de l’opéra, du cinéma, ou encore au monde musical de « se ré-inventer». Sur ce verbe devenu fétiche dans la communication macronienne, le voilà incitant sans vergogne les intermittents du spectacle et les comédiens en chômage à faire de l’animation culturelle dans d’hypothétiques colonies de vacances de l’été. Avouons qu’envisager les colos en dépit d’un déconfinement « timide » fait apparaître la vacuité ainsi que le manque de pertinence du propos présidentiel. En un mot, la rencontre avec une poignée de représentants de la culture, tout comme la séquence chez les petits scolaires, a semblé surgir d’un synopsis de téléfilm série B !
De ces deux interventions à grand spectacle, quel bénéfice pour notre nation ? Mystère et boule de gomme… Frédéric Mitterrand, l’ancien ministre de la Culture de Nicolas Sarkozy, l’a méchamment épinglé dans un entretien au journal Le Parisien. Concédons à Macron l’habilité stratégique d’avoir prolongé d’un an les droits au chômage de 120 000 intermittents du spectacle ! Un vrai comprimé de Lexomil, un sacré tranquillisant car la mesure a tué net dans l’œuf les revendications d’un monde culturel – toujours influent – mais inquiet avec raison. Bravo ! « La politique, c’est comme le flirt : si on veut aller plus loin, faut aller plus près », disait Coluche.
Comme bien d’autres avant lui, Emmanuel Macron a entériné la situation bancale de ces intermittents qui perdure en France depuis plus de 50 ans. Et qui survit pour le plus grand bonheur des directeurs de théâtre, des producteurs de cinéma, des dirigeants des chaînes télé, trouvant dans ce vivier des collaborateurs – électriciens, câbleurs, pigistes, régisseurs, éclairagistes etc, une main d’œuvre peu onéreuse, car subventionnée par les pouvoirs publics et donc par les contribuables (1).
Macron / Zorro chez les scolaires, en bras de chemise lors de son entrevue avec le monde culturel et les gens de théâtre… Posons les questions qui fâchent : à quand une future intervention du Président de la République en salopette Coluche ? Les « Tréteaux du Cœur », c’est pour bientôt ?
Marie-France Poirier
(1) L’intermittent du spectacle a un statut précaire. Il est sous contrat de travail à durée déterminée dit d’usage. Le CDD d’usage permet de s’adapter au caractère temporaire des tournées ou des spectacles. Mais il arrive couramment que ce CDD soit prolongé jusqu’à une durée de 5/10 ans chez le même employeur avec de brèves interruptions payées par l’allocation chômage du fait de la précarité inhérente à sa profession. On mesure l’immense avantage financier qu’en retirent les directeurs de théâtres, les boîtes de production télé, certains orchestres etc. Nulle part où monde, il n’existe pareil privilège. S’il y a bien une « spécificité culturelle française », c’est celle-là.