Le notaire beaunois Denys Chevillon, à la tête de la profession en Côte-d’Or, manie la métaphore vineuse pour illustrer la crise que traverse le monde notarial depuis le 17 mars dernier. Mais cet homme de lettres (et pas seulement authentiques) en appelle aussi à Honoré de Balzac…
Dijon l’Hebdo : Comment le monde notarial a-t-il franchi le cap du confinement ?
Denys Chevillon : « Les études sont fermées depuis le 17 mars. Dans le même temps, nous avons voulu assurer, comme il se devait, la continuité du service public. La profession a essayé de mettre en place la signature authentique des actes à distance. C’est un process compliqué. Nous avons fonctionné au début par procuration afin de finaliser des dossiers. Nous nous sommes efforcés comme tout un chacun de mettre en place le télétravail avec des bonheurs variés, surtout lors des deux premières semaines. Nous connaissions déjà cela dans notre profession où nous l’appelions le « numérique balade » mais il était prévu pour des cas très occasionnels. Lorsqu’il a fallu le faire à grande échelle, les réseaux ont souffert. C’est peut-être mon milieu beaunois qui veut cela mais je compare souvent le notariat à une bouteille, avec, malheureusement, au-dessus un entonnoir. Il doit s’y déverser un certain nombre de choses comme les formalités préalables, les diagnostics immobiliers, les états hypothécaires… S’il n’y a pas tous les ingrédients, on a beau presser, le jus ne coulera pas dans la bouteille ! »
DLH : La profession notariale attendait donc elle aussi avec impatience la date du déconfinement…
D. C : « Nous espérions ce déconfinement. Cette date du 11 mai a été donnée peut-être en n’étant pas assuré de savoir comment cela allait se passer. Nous aurons un déconfinement de zone et nous sommes dans la zone rouge. Nous aurons la confirmation de tout cela le 7 mai. Imaginez le temps imparti avant le 11 mai ! C’est très court. La profession, au plus haut niveau, a pensé au déconfinement en mettant en place une méthodologie. Un tutoriel a été adressé à l’ensemble des études pour l’organisation sanitaire et le rappel des règles élémentaires. Le parcours à l’intérieur des offices ne sera pas facile à mettre en place pour tout le monde. Le nombre de participants sera limité lors des rendez-vous. La sécurité du personnel comme des clients est primordiale ».
DLH : Les répercussions seront-elles aussi fortes qu’annoncées sur le marché immobilier ?
D. C. : « C’est la pierre angulaire de la profession. Le nombre des transactions sera à la baisse, comme on l’observe dans toutes les crises. La crise financière de 2008 avait réduit leur nombre du tiers et avait entraîné une chute des prix dans l’ancien de plus de 8%. Cela n’avait pas redémarré comme cela. Il faut donc s’attendre en 2020 à une baisse des ventes, d’autant que durant la période de confinement les agences immobilières ont fermé. Cela a interrompu une très bonne tendance. De combien cette baisse sera ? C’est difficile à savoir même si, sur le plan national, elle a été estimée à 100 000, 200 000 ventes. Les banques auront aussi certainement des priorités différentes du crédit immobilier. Les ménages auront peut-être moins de pouvoir d’achat et ils privilégieront une préoccupation d’épargne et de précaution. Nous assisterons à une inégalité des baisses de prix. Les Echos tablent sur une correction de – 5% à Paris et de – 10% dans les grandes agglomérations. Le même journal a placé Dijon dans les villes où investir post-coronavirus. Je pense que les grandes villes s’en sortiront mieux que les autres à condition que tout cela ne dure pas longtemps. Imaginons une deuxième vague, un reconfinement… »
DLH : Les chiffres d’affaires des études notariales seront-ils fortement impactés ?
D. C. : « Cette crise aura une influence sur le marché immobilier et donc sur nos activités. C’est l’époque où les Chambres doivent boucler leurs budgets avec des baisses de chiffre d’affaires de 20 à 25 %. L’entreprise notariale est une entreprise et, comme tous les chefs d’entreprise, nous sommes soumis aux aléas économiques. Dans ce coup d’arrêt de l’activité économique, bien évidemment, l’entreprise notariale est touchée. Nous ne sommes pas, dans ce monde balzacien, au-dessus des nuages. Nous sommes loin de l’image d’Epinal que certains peuvent avoir encore de notre profession. Nous avons une baisse de travail et une productivité moindre. Il faut s’attendre à une baisse des chiffres d’affaires… donc des bénéfices, si on en fait encore ! »
Propos recueillis par Camille Gablo