ASSASSIN(S)

Acteur et réalisateur, Mathieu Kassovitz s’est longtemps affirmé comme le prototype du petit contestataire teigneux se complaisant dans la dénonciation des tares (ou des prétendues tares) de l’Hexagone – comme chantait l’autre avant d’embrasser les flics – ainsi que dans la défense et illustration des cailléras de banlieue, des voyoucrates bas du front parés de toutes les excuses sociétales à la mode. Depuis quelque temps, il semble avoir changé sa kalachnikov d’épaule en s’intéressant aussi aux militaires, aux gendarmes d’élite, aux agent secrets au service de la France. Mais qu’il se passionne pour les flics ou les voyous, c’est toujours, semble-t-il, chez lui la même fascination douteuse pour une conception primaire de la virilité et une ultra violence faisandée (sans l’humour baroque du Kubrick d’« Orange mécanique », par exemple).

En 1997, notre haineux Kassovitz sortait « Assassin(s) », film dégouttant à la fois de sauvagerie et de consternante médiocrité banlieusarde. Le critique du « Figaro », à l’époque, l’avait défini comme « le film le plus nul depuis l’invention du cinéma », formule qu’ont reprise à leur compte les promoteurs de la chose en l’inscrivant sur la pochette de son DVD édité par Studio Canal. On peut penser qu’ils présupposaient avec subtilité qu’un avis particulièrement hostile d’un journal « bourgeois » allait nécessairement susciter, chez le public gauchard, un mouvement de sympathie pour un film présenté comme courageusement anticonformiste, dérangeant.

Mais en fait d’anticonformisme, le film de Kassovitz se contente d’égrener tous les poncifs, ressassés ad nauseam, de la culture de l’excuse par rapport à la criminalité, à la délinquance notamment juvénile. Metteur en scène d’« Assassin(s) », Mathieu Kassovitz incarne aussi Max, le personnage principal du récit – un jeune raté efflanqué, velléïtaire, énervé et veule qui « mène une vie de merde » en passant son temps dans des stages professionnels sans débouchés, ou alors à traîner dans la rue, ou encore à somnoler sur son lit en suçotant des pétards. Il n’a pas de petite amie, il n’a pas de vrais copains, il squatte chez sa mère qui l’appelle affectueusement « pitoun » tout en considérant qu’il n’est même pas « bon à rien » mais plutôt « mauvais en tout ». La seule personne dont il semble se sentir proche est un petit beur de treize ans, Mehdi, avec lequel il échange régulièrement des mots doux tels que « fils de pute » ou « enculé ». Pour se payer sa beu, il commet aussi des larcins, des cambriolages minables, jusque dans sa propre rue – c’est dire l’intelligence du gars.

Au cours d’un de ces cambriolages, Max fait la connaissance de Monsieur Wagner (Michel Serrault) qui le braque avec un pistolet de gros calibre alors que le petit crétin s’apprêtait à piller son appartement. Car ledit Wagner, sous ses dehors de vieux Monsieur tranquille, est un redoutable tueur à gages qui cherche un assistant et un successeur auquel léguer son savoir, son expérience, son héritage professionnel. Monsieur Wagner se considère comme un honnête artisan, ce qui est sans doute censé produire un effet tragi-comique, vu l’objet de son artisanat. Etant donné les circonstances de leur rencontre, il a pris barre sur le jeune désœuvré, l’enrôle à son service et lui apprend son « métier, un vrai comme il n’en existe presque plus, une tradition que tu pourras transmettre plus tard », dit-il à Max, tout en le prévenant gentiment : « A la première connerie, je te tue ! »

Et c’est parti pour des assassinats divers, des défourraillages bruyants, des dents brisées à coups de crosse, des canons de fusil enfoncés dans la bouche ouverte pour mieux faire exploser la tête, des leçons de vocabulaire sur les armes, la balistique et les contrats, des considérations « éthiques » sur l’intérêt de tirer dans la nuque des victimes : « De la sorte, tu ne fais pas souffrir ton client. On n’est pas des bouchers quand même. »

Un jour cependant, Max est lâché en solo pour exécuter un contrat, alors que jusque là il avait toujours été accompagné de son mentor. En bon pied nickelé qu’il est, il décide de se faire aider par son petit pote Mehdi (treize ans, je le rappelle). Il foire à moitié sa mission et c’est le trou du cul arabe qui finit par abattre la cible. De ce fait, Monsieur Wagner n’est pas content, il tue Max pour lui apprendre à vivre et à travailler correctement, il le remplace par Mehdi qui se révèle un tueur implacable et froid. Mais quand Mehdi s’endort, il tient son pistolet serré contre sa joue d’angelot , comme si c’était un doudou, comme s’il suçait son pouce. Eh oui, selon saint Mathieu, il n’y a pas de mauvais garçons, juste des enfants perdus, trop influençables, humiliés par le « système, intoxiqués par les programmes violents de la télévision, manipulés par de méchants artisans ! Pleurez, pleurez, jobards laxistes et démagogues…

Références : « Assassin(s) », France, 1997