Yves Bruneau : « La première des qualités qu’il recherchait auprès de son entourage était la loyauté et la fidélité »

Il aura été son plus proche collaborateur de 1983 à 2001, d’abord au conseil départemental puis à la mairie de Dijon. Yves Bruneau, 
incontournable directeur de cabinet, figure incontestablement parmi ceux qui sont le mieux placés pour parler de Robert Poujade. 

Dijon l’Hebdo : Curieux paradoxe. La proximité n'a jamais été le ressort de Robert Poujade, sa méthode, son tempérament et sa façon d'être. 
Pourtant, il a réussi à créer un lien très personnel et très efficace avec les électeurs dijonnais. Comment expliquez-vous cette alchimie ?
Yves Bruneau : « Il avait épousé Dijon et c’était à la fois un mariage d’amour et un mariage de raison. Il aimait profondément cette ville et avait envie 
de la rendre encore plus belle. Et puis, pour paraphraser Montaigne, on pourrait dire « Parce que c’était elle, parce que c’était lui ».

DLH : Pas de baratins démagogiques, pas de mains serrées sur les marchés, pas d'effusion de joie, encore moins de tutoiements, Robert Poujade 
a imposé un style bien particulier durant les trente années qu'il a passées à la mairie de Dijon. Conservait-il cette distance avec ses plus proches 
élus, ses plus proches collaborateurs dont vous faisiez partie ?
Y. B : « Il n’avait pas réellement d’intimité avec les élus du conseil municipal. Il en tutoyait un seul, parmi les premières équipes, Christian Baron, qui 
avait été son condisciple à Normale Sup. Ce qui n’excluait pas l’estime et la reconnaissance qu’il avait pour eux. Il en était de même pour ses 
collaborateurs. En ce qui me concerne je dois dire, sans fausse modestie, qu’il en allait différemment. Nous avions partagé tant de situations, parfois 
difficiles, de réflexions et de discussions qu’une certaine intimité s’était créée entre nous ; je crois qu’il m’aimait bien. Il avait conclu les vœux qu’il 
m’avait adressés cette année « Avec toute mon affection ». J’en avais été très touché ».

DLH : Si vous deviez définir sa personnalité en quelques qualificatifs, quels seraient-ils ?
Y. B : « Intelligence, bien sûr, immense culture, impressionnante capacité de travail ; cela tout le monde le sait. Mais aussi don pédagogique qui vous 
donnait l’impression d’être plus intelligent, faculté d’écoute et même, ce qui peut surprendre ceux qui ne l’ont pas côtoyé de près, chaleur humaine ».

DLH : Robert Poujade appréciait tout particulièrement Malraux dont il avait fait sienne cette formule : « S'il existe une solitude où le solitaire 
est abandonné, il en existe une où il n'est solitaire que parce que les hommes ne l'ont pas encore rejoint ». Comment avez-vous interprété la 
solitude de cette homme qu'on ne croisait quasiment jamais dans les lieux publics de la ville avec des amis ? Faut-il attribuer cette posture à son 
histoire, à sa formation et à sa culture ?
Y. B : « Il m’est difficile de faire l’analyse psychologique de sa personnalité mais je crois qu’il avait une grande pudeur naturelle, résultat sans doute de 
son éducation, peut-être aussi une forme de timidité. Certainement la volonté de dresser une cloison étanche entre sa vie publique et sa vie privée afin de 
protéger celle-ci. Il n’était pas du genre à dire « Entre Carla et moi, c’est du sérieux ».

DLH : On se souvient des traits d'esprit qui épiçaient ses discours. Est-ce lui qui les écrivait ?
Y. B : « Il y avait plusieurs types de discours. Ceux concernant les inaugurations et les représentations courantes étaient généralement rédigés par les 
chargés de mission du cabinet qui le faisaient avec conscience et même talent. Ceux qui étaient un peu plus complexes en fonction des circonstances ou 
des sujets relevaient de mon travail. Au fil du temps, vous savez, on assimile sa manière de penser, de s’exprimer. Il m’avait fait un compliment en me 
disant « Mais, Bruneau -il m’appelait par mon nom de famille- vous avez fait du Poujade ! ». En général, il écrivait lui-même les discours à caractère 
purement politique et celui de la rentrée solennelle de l’Académie de Dijon, une merveille d’érudition et de style ».

DLH : Robert Poujade a toujours aimé les classiques de la littérature. Le cardinal Mazarin, par exemple : « Dans une communauté d'intérêts, il 
y a danger dès qu'un membre devient trop puissant ». Cette formule, le maire de Dijon l'a fait sienne tout au long de sa longue carrière. 
Comment bâtissait-il les équipes qui l'ont entouré ? Quelles étaient les qualités qu’il attendait d'abord de ses élus et de ses collaborateurs ?
Y. B : « Il bâtissait ses équipes d’élus de façon très méthodique, en fonction de critères précis. Chaque quartier, chaque type de profession, chaque 
tranche d’âge devaient être représentés ( on ne parlait pas encore de parité homme -femme). A partir de ces critères, il choisissait des personnalités 
marquantes, le critère politique, à part quelques fidèles, n’était pas vraiment déterminant. Bien entendu les profils extrémistes étaient exclus ».
Pour les collaborateurs du cabinet il aimait donner leur chance au jeunes et me laissait une grande liberté, pourvu que les postulants soient motivés (la 
charge de travail était lourde), cultivés et dignes de confiance, à condition bien sûr de ne pas être encarté au PS, au PC, au FN ou chez les trotskistes ! 
Lorsqu’il m’a proposé le poste de directeur de cabinet, je lui avait dit, ce qu’il savait, que je n’étais pas membre du RPR ( il se doutait néanmoins de mes 
tendances gaullistes). Il m’avait répondu : « Mais c’est précisément pour cela que je vous engage ! ».

DLH : Et malheur à celui qui dérapait... Certains en ont fait les frais comme Jean-François Bazin…
Y. B : « La première des qualités qu’il recherchait auprès de son entourage était la loyauté et la fidélité. On pouvait ne pas être d’accord avec lui sur tel 
ou tel sujet, en débattre mais une fois sa décision prise la loyauté s’imposait et il n’acceptait pas qu’on cherche à lui en imposer une autre ».

DLH : Quelles sont les actions les plus marquantes qu'il a menées durant ses cinq mandats de maire ?
Y. B : « Il y en a trop pour les citer toutes. J’en retiendrai trois parce qu’elles ne sont pas forcément connues des dijonnais et ont cependant eu une 
importance capitale pour Dijon et ses habitants.
L’exigence qu’il a manifestée auprès de Georges Pompidou pour que la bretelle de raccordement à l’autoroute A6 Paris-Lyon soit à deux fois deux voies 
(alors qu’elle était prévue à une seule voie) et soit classée comme autoroute gratuite. Il en avait fait la condition de sa participation au gouvernement.
Son rôle déterminant pour que soit créée la bretelle de raccordement d’Aisy au TGV Paris-Lyon.
Dans les deux cas, sans son poids politique, Dijon serait restée à l’écart de ces grands axes de communication et aurait vu son développement fortement 
compromis. Et puis, le transfert de l’hôpital général sur le site du Bocage dans le cadre de l’opération Bocage 2000, projet qu’il a initié comme maire de 
Dijon et comme président du CA du CHU. C’est grâce à lui, en dehors bien sûr de son personnel, que notre hôpital a pu atteindre la qualité qui est la 
sienne aujourd’hui. Nombreux sont ceux qui cherchent quel équipement ou monument pourrait porter le nom de Robert Poujade. Je crois qu’il 
aurait heureux que ce fut le CHU, mais un autre choix a été fait ».

DLH : Robert Poujade laissait apparaître une certaine forme d’austérité. Aimait-il rire ? Et qu’est-ce qui le faisait rire ? Qu’aimait-il le plus dans la vie ?

Y.B : « C’était, je l’ai dit, un homme chaleureux en privé mais aussi lorsque par exemple il se retrouvait avec les autres maires du département dans le cadre de l’Amicale qu’il présidait. Chaque déjeuner se terminait par une succession de blagues, parfois à faire rougir un collégien, pour le grand bonheur des maires qui l’adoraient.

Dans la vie il aimait Dijon, et bien sûr sa famille. Mais au-delà il était, je vais vous surprendre, il était gourmand. Parmi nos conversations nombre portaient sur nos plats préférés  et il avait beaucoup de respect pour les grands chefs. Mais dans le domaine culinaire, comme dans tous les autres, il était d’une grande exigence ».

DLH : Quelle est la situation la plus drôle que vous avez vécue à ses côtés ?

Y. B : « La visite incognito du prince Charles à Dijon. C’était un lundi, j’avais du travail et j’étais resté à mon bureau déjeuner d’un sandwich. En regardant par la fenêtre j’aperçois dans la cour d’Honneur une silhouette ressemblant au prince. C’était bien lui accompagné d’un couple d’amis et d’officiers de sécurité. Je descends dans la cour; il n’y était plus mais je le trouve salle des États où se tenait une exposition sur Mozart. Je pense que je pourrais lui proposer de visiter les salons de la mairie, je me présente à ses officiers de sécurité puis à lui et lui fait la proposition qu’il accepte. En visitant mon bureau il me demande où est le maire, je lui réponds qu’il déjeune chez lui. « Et vous, me demande -t-il? ». Je lui montre mon sandwich et il comprend. Au retour de M. Poujade je lui relate les faits et il me dit qu’il voudrait bien le voir. Le conservateur du musée des Beaux-arts  me prévient de la présence  du prince à qui j’avais conseillé sa visite. Nous allons à la rencontre du prince qui au terme de la discussion dit: » Vous avez de la chance, M le maire de pouvoir déjeuner chez vous, votre directeur de cabinet doit se contenter d’un sandwich ! ». Et nous sommes tous les trois partis d’un grand éclat de rire peu protocolaire ».

DLH : Et la plus émouvante ?

Y. B : « L’explosion de gaz et l’effondrement de l’immeuble de l’avenue Eiffel du 4 décembre 1999. C’était une vision d’apocalypse. Nous sommes restés toute la nuit au pied des décombres dans l’espoir que les sauveteurs trouvent des survivants. Plus le temps passait et plus l’angoisse grandissait. Il était bouleversé, pensait sans cesse aux victimes et à leurs proches mais comme de coutume il s’efforçait en public de maîtriser ses sentiments. Lorsque nous nous sommes retrouvés seuls, il était abattu comme je ne l’avais jamais vu ». 

DLH : Qu’est-ce qui pouvait le mettre en colère ?

Y. B : « Ce qu’il détestait par dessus tout c’était la trahison de sa confiance, la bêtise et l’incompétence aussi. Mais à vrai dire je ne l’ai jamais vu exprimer sa colère, ce qui ne veut pas dire qu’il ne l’était pas. Dans ces moments son visage rougissait, ses yeux se plissaient, ses épaules se soulevaient, ses doigts se croisaient et se crispaient et il émettait une sorte de toussotement. On sentait une immense tension intérieure, mais là encore la maîtrise de soi reprenait le dessus. C’était impressionnant, je vous assure. Mais jamais une injure, une insulte ou un mot blessant ne sortait de sa bouche. Mais croyez-moi son interlocuteur avait compris la leçon ». 

DLH : Si vous ne deviez conserver qu’un bon souvenir de Robert Poujade…

Y. B : « Les longs voyages en voiture lorsque nous parcourrions les routes, parfois désertes du département. C’était l’occasion de longues discussions sur l’histoire, la littérature et…la cuisine. Nous avons par exemple eu une polémique sur la meilleure façon de cuire l’andouillette, au four et au vin blanc ou grillée. Si, si je vous assure c’est la vérité ».

DLH : Peut-on dire qu’il a raté sa succession à la mairie de Dijon ?

Y. B : « Il m’avait, lorsque nous évoquions le sujet rapporté  les propos du général de Gaulle: »Nous ne sommes pas des Antonins », c’est dire qu’en démocratie on ne choisit  pas ses successeurs, c’est l’affaire des électeurs. C’est un principe qu’il s’est appliqué à lui-même. Cela dit, peut-on faire pousser des arbustes sous un grand chêne ? »

DLH : Si Charles de Gaulle, c'était une certaine idée de la France, Robert Poujade, c'était une certaine idée de Dijon ?
Y. B : « Bien sûr ! Lisez ou relisez son livre « Passage du siècle », écoutez ses dernières paroles lors de son dernier conseil municipal et vous 
comprendrez que Dijon était son destin ».

 

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre