François Sauvadet – Marc Frot : « Pourquoi aller acheter très loin ce qu’un agriculteur peut vous vendre juste à côté de chez vous ? »

En cette période confinement, c’est une initiative originale que le Département de la Côte-d’Or a mise en place en partenariat avec la Chambre d'agriculture : « J'veux du local – Le goût de ma Côte-d'Or ». François Sauvadet, président du conseil départemental et Marc Frot, vice-président, détaillent ce dispositif qui vise à rapprocher les producteurs locaux des consommateurs côte-d'oriens.

Dijon l’Hebdo : Le Département et la Chambre d'agriculture viennent de donner le coup d'envoi de l'opération « J'veux du local - Le goût de ma Côte-d'Or ». Pourquoi une telle initiative ?

François Sauvadet : « Depuis un mois, cette crise absolument inédite et d'une ampleur incommensurable a profondément modifié la plupart de nos comportements. Car le confinement de la population a sérieusement limité nos possibilités de déplacements. Nos comportements alimentaires ont largement évolué en à peine quatre semaines. On a vu, au début de la crise, une ruée des Français sur les rayons pâtes et conserves des grandes surfaces. Il y avait clairement une peur de manquer de nourriture ».

Marc Frot : « Cette évolution des comportements alimentaires est une réalité. Car une fois passé l'empressement des consommateurs à faire des réserves dans les supermarchés, ils ont vite réalisé que le confinement était appelé à durer et qu'ils ne pourraient pas se nourrir de pâtes ou de conserves pendant des semaines ».

François Sauvadet : « Dans le même temps, les producteurs locaux, qui continuent de cultiver leurs terres et d'élever leurs bêtes, ont vu leurs circuits traditionnels de distribution se tarir petit à petit. Ils ont en effet dû faire face à la diminution importante des marchés de plein air, dont la plupart ont été interdits par décision préfectorale, et à la fermeture de nombreux commerces.

Et il faut rappeler qu'avant la pandémie de coronavirus, nombreux étaient les Côte-d'Oriens qui remplissaient leur frigo en se rendant sur les marchés de plein air.

A ce propos, je veux relayer l'appel de Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture, à rouvrir les marchés. Dans le respect, bien entendu, des gestes barrières et des mesures de distanciation sociale ».

Marc Frot : « J'ajoute que dans nos villages et nos petites villes, les marchés jouent un rôle primordial, en matière d'accès à la nourriture mais également comme créateurs de lien social.

Il faut également préciser que de nombreux petits producteurs n'ont pas encore un accès aisé à la grande distribution. Même si on voit bien que là aussi, les comportements évoluent et que de plus en plus en plus de grandes surfaces font le choix d'ouvrir leurs rayons aux produits locaux.

Les acteurs de la grande distribution redécouvrent l'attrait des producteurs locaux en se disant que, certes, acheter des légumes ou de la viande en Côte-d'Or, ça coûte peut-être un peu plus cher que de faire venir les mêmes produits de l'étranger, mais cela représente également de nombreux avantages ».

François Sauvadet : « J'appelle d'ailleurs les grandes surfaces à se fournir davantage en produits locaux. Elles ont tout à gagner. C'est l'assurance de pouvoir garnir leurs rayons en cette période où il devient difficile de faire venir des produits frais de l'étranger. Mais c'est également bon pour leur image ! Acheter local, c'est un geste civique, qui encourage la consommation responsable et durable et favorise l'économie locale.

Quoi qu'il en soit, on se retrouvait face à une situation complètement paradoxale. D'un côté, on trouvait des Côte-d'Oriens désireux de manger du local mais ayant des difficultés à se fournir et de l'autre des agriculteurs locaux qui continuaient de produire des légumes, des fruits ou des viandes de qualité mais qui n'arrivaient plus à les écouler !

DLH : Et c'est là que le Département intervient ?

François Sauvadet : « Tout à fait. En partenariat avec la Chambre d'agriculture, nous avons imaginé cette opération baptisée « J'veux du local - Le goût de ma Côte-d'Or ».

Son objectif est très simple ! Il s'agit de recenser tous les producteurs locaux qui veulent vendre leurs marchandises en direct et de mettre leurs coordonnées à disposition des Côte-d'Oriens.

La vente directe, c'est l'avenir. Vendre sans aucun intermédiaire, le deal entre le producteur et le consommateur, c'est l'assurance pour l'agriculteur de vivre de son travail et pour le consommateur de manger des produits frais et de qualité ! ».

Marc Frot : « Et ça répond parfaitement à la problématique énoncée précédemment !

Je précise également que cette action s'inscrit dans le nouvel accord-cadre signé par le Département et la Chambre d'agriculture et qui porte sur la période 2020-2025. Lors du précédent accord-cadre, le Département a débloqué 11,2 millions d'euros. Pour le nouvel accord, ce sont 15,5 millions d'euros qui sont programmés pour financer une multitude d'actions. Le Département est le premier partenaire des agriculteurs côte-d'oriens ! »

DLH : La Côte-d'Or se prête-t-elle parfaitement à cette initiative ?

François Sauvadet : « La Côte-d'Or, c'est LA terre agricole par excellence. La Côte-d'Or, c'est une véritable « petite France agricole ». Elle regorge de produits dont la renommée dépasse largement les frontières du département. Je parle de l'Epoisses, du bœuf charolais, du vin, bien sûr, des escargots mais également des céréales, des légumes du Val de Saône, des fruits, du miel ou des produits laitiers.

Marc Frot : « Je suis agriculteur. Je connais bien ce secteur qui représente une part importante de notre économie locale. L'agriculture côte-d'orienne est une richesse pour notre département. Mais une richesse que nous devons encore mieux mettre en valeur.

Dijon l’Hebdo : Pouvez-vous préciser comme l'application fonctionne ?

François Sauvadet : « Toutes les informations relatives à chaque producteur sont disponibles sur le site web du Département et accessibles grâce à une carte interactive. Les Côte-d'Oriens intéressés peuvent donc géolocaliser des producteurs pas trop loin de chez eux. Le Département et la Chambre d'agriculture deviennent des facilitateurs ».

Marc Frot : « Grâce à l'action conjointe du Département et de la Chambre d'agriculture, des personnes qui ont des intérêts communs sont mises en relation. Par exemple, dans mon canton de Montbard, la productrice de Bussy-le-Grand qui propose ses produits céréaliers ou ses fromages de brebis et l'artisan de Ménetreux-le-Pitois qui cherche à acheter son pain ou son fromage pas trop loin de chez lui. C'est du pragmatisme. Pourquoi aller acheter très loin ce qu'un agriculteur peut vous vendre juste à côté de chez vous ? »

François Sauvadet : « Et ça marche ! On a lancé le dispositif jeudi 9 avril et la carte compte déjà une soixantaine de producteurs locaux ».

Marc Frot : « En plus, ce n'est qu'un début. La Chambre d'agriculture reçoit tous les jours de nouvelles demandes pour figurer sur la carte et être référencé dans le dispositif ».

Dijon l’HebdoCela fait de nombreuses années que le Département soutient les filières locales ?

François Sauvadet : « Tout à fait. Nous n'avons pas découvert les bienfaits et les avantages du "consommer local" il y a un mois. Cette action innovante du Département s'inscrit dans le cadre d'une politique bien plus large et ancienne de soutien aux filières locales. Cela fait plus de dix ans que notre collectivité a fait le choix de structurer l'agriculture locale et de favoriser les circuits locaux.

Marc Frot : « Les objectifs de ce soutien aux filières locales sont multiples : dynamiser l'économie locale, préserver les ressources naturelles, favoriser la création de valeur ajoutée de nos produits locaux, fournir une alimentation de qualité aux collégiens et aux résidents des établissements sociaux et médico-sociaux gérés par le Département, encourager une consommation responsable ».

François Sauvadet : « Au final, on se rend bien compte que l'alimentation 100% Côte-d'Or, c'est bon pour toute la Côte-d'Or et tous les Côte-d'Oriens ».

Dijon l’Hebdo : Vous avez été un précurseur en matière de consommer local. Cela vous incite à continuer ?

François Sauvadet : « On voit bien que le consommer local est une tendance nationale récente. On se rend compte que les consommateurs sont de plus en plus demandeurs de goût, d'authenticité, de terroir. Ils souhaitent également devenir des acteurs de leur alimentation. Ce que j'appelle des "consomm'acteurs". Ils veulent savoir ce qu'il y a dans leurs assiettes. Ils sont désormais plus "responsables" ».

Marc Frot : « Nombreux sont les consommateurs qui privilégient désormais la qualité à la quantité. Par exemple, on sait que le consommateur actuel mange moins de viande mais qu'en contrepartie, il exige une viande goûteuse et savoureuse. Le Côte-d'Orien va préférer le bœuf charolais élevé dans les prés au bœuf américain boosté aux hormones. Consommer est ainsi devenu depuis quelques années un acte civique. Encore plus ces dernières semaines ».

François Sauvadet : « Le Département de la Côte-d'Or a été un précurseur en matière de consommer local. L'opération « J'veux du local - Le goût de ma Côte-d'Or » n'est qu'une initiative supplémentaire qui s'inscrit dans une politique globale, au même titre que la marque « Savoir-faire 100% Côte-d'Or ».

Marc Frot : « C'est vrai. Cette marque a été lancée par François lors de la dernière Foire internationale et gastronomique de Dijon, en novembre 2019. Elle a déjà suscité un vif intérêt de la part de nombreux professionnels. Les différents cahiers des charges sont en cours de rédaction, en lien avec la Chambre d'agriculture ».

François Sauvadet : « La marque "Savoir-faire 100% Côte-d'Or" répond à un objectif principal : apporter de la valeur ajoutée aux produits "made in Côte-d'Or". Elle n'en est encore qu'à ces débuts mais je crois en elle. Dans quelques mois, elle sera un vrai marqueur de nos territoires.

Après la crise, quand la situation redeviendra normale, il conviendra de pérenniser toutes ces initiatives, de les amplifier, de privilégier encore davantage les circuits locaux. Pour que la tendance actuelle au consommer local ne soit pas une simple mode mais qu'elle devienne un véritable nouvel art de vivre ».

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre