Comment « planter » la communication autour d’une crise sanitaire historique, mode d’emploi…

La gestion du Covid-19 par le gouvernement est une catastrophe informationnelle, un naufrage communicationnel. Contre-feu utile : qu’on ne suspecte pas cette analyse de faire acte « d’anti-macronisme primaire » ou de constituer une entaille à « l’union nationale » péremptoirement invoquée ces temps-ci. Qui dit « guerre » dit « union nationale »… Ceci est un stratagème rhétorique éculé qui relevait, à Athènes, de la démagogie. Car c’est en théoricien de la communication que l’auteur s’exprime ici, proposant une analyse de ce qui a dysfonctionné (et dysfonctionne encore) dans la manière dont le gouvernement communique autour du virus et de l’épidémie. Un cas d’école de la pédagogie du contre-exemple !

Catas en stock….

Dysfonctionnements disais-je ? Tout y est passé… et ça continue : rétention d’information, volte-face, « « injonction paradoxale », parole officielle tour à tour ridicule ou glaciale, métaphore martiale ambiguë, « éléments de langage » hors-sol, logorrhée technocratique, voire pire, mensonges avérés…

A l’époque des chaînes d’info en continu et des réseaux sociaux, nulle « guerre » ne peut être menée sans les médias, ou contre eux. Or, le gouvernement s’est pris lui-même dans un étau intenable. Un piège fatal entre la parole officielle, débitée par les porte-paroles sur BFM et consorts (quitte à ce que leurs chroniqueurs démontent ensuite perfidement tout cela) ; et puis « retour du refoulé » sur les réseaux sociaux, grand déversoir, où les internautes, excédés par cette gestion de l’info calamiteuse, réclament des comptes, demandent des têtes, lapident des boucs émissaires. Sans même évoquer les fake news fantasques ou les contrevérités manifestes, se répandant de manière virale. Impossible pour le gouvernement de trouver le juste milieu.

Parlant communication, les vrais problèmes, ont commencé avec la démission du Ministère de la Santé d’Agnès Buzyn, officiellement désignée pour briguer la Mairie de Paris. En fait pour remplacer au pied levé le sorélien Griveaux, coupable de piteuses grivoiseries numériques. Se rêver César, et ne même pas finir Pompée…

Buzyn, médecin elle- même, avait affirmé que le virus ne présentait presqu’aucun risque fin janvier. Quelques semaines plus tard, au lendemain de son échec parisien, elle a lâché tout le monde en rase campagne, expliquant qu’elle savait depuis le début ce « qu’on » cachait en haut lieu : le raz-de marée épidémique serait gigantesque, un tsunami ! Lâchage, retournement de veste et duplicité désastreuse pour elle-même et pour le gouvernement…

Et puis il y a eu la volte-face autour du confinement, orchestré par le Président lui-même : aller au théâtre avec Madame le jeudi, laisser frontières et aéroports ouverts à tous les vents, encourager à aller voter le dimanche, et annoncer de manière martiale le lundi soir, des trémolos gaulliens dans la voix, que le confinement c’était … pour le lendemain midi ! Et dans ce discours, Emmanuel Macron réussissait l’exploit de demander dans la même phrase de rester chez soi mais aussi… d’aller voir ses voisins ! Le confinement « en même temps »… Et magnifique illustration de « l’injonction paradoxale » : dire dans la même phrase une chose et son contraire. A l’avenant sur les masques « qui ne servent à rien », et puis si, finalement, « si, portez en … si vous en trouvez »…Rien n’est moins sûr…

Etre con, finement…

Depuis deux semaines de confinement, les informations sont pléthoriques, erratiques, contradictoires.

Etre porte-parole du gouvernement, un métier à part entière… Prestance, verbe haut et maitrise de soi, culture.. Il y eut Max Gallo, Roland Dumas, Jack Lang, François Baroin, parmi d’autres… Et puis il y a Sibeth NDiaye, « Miss Boulettes ». Celle qui se vantait de « ne pas avoir honte de mentir pour protéger le Président » les a alignées, les boulettes. Un jour, les masques ne servent à rien (et elle avoue rigolarde ne pas savoir en mettre un, no comment). Le lendemain, « les profs, ne travaillant pas en ce moment, pourraient aller cueillir des fruits », le reste à l’avenant, entre incohérences péremptoires et ricanements si bêtes. A ce niveau-là, ce n’est plus de l’incompétence, c’est de la faute professionnelle aggravée, discréditant la parole de l’État, en jouant « contre son camp ».

Et puis il y a eu la guerre picrocholine opposant le fantasque mais renommé Professeur marseillais Didier Raoult, contre la technostructure parisienne. Il est clair que sur les réseaux, qui peuplés de « malades imaginaires » et de « médecins malgré eux », il a gagné par « chaos »…

Désormais, il y a tous les jours le décompte macabre des « fronts épidémiques » , avec tableau du nombre de morts et de malades intubés, égréné par le glacial Jérôme Salomon, Directeur Général de la Santé. Il n’a pas vraiment un physique de comique troupier et ce n’est pas ce qu’on lui demande. Mais un peu d’empathie, un ton non litanique et clinique seraient les bienvenus, au lieu de son rictus crispé rappelant le Minos en noir et blanc des écrans télé d’antan…

La métaphore présidentielle de la guerre est est-elle judicieuse ? That is the question… Est-ce une guerre, véritablement, ou un combat médical contre une épidémie ? La séquence de communication officielle (on disait « propagande », avant) d’ il y a quelques jours devant une tente militaire et trente pauvres lits de camp au sol, ça faisait Camping 3 à la mode Rambo.

« Que faire… ? »

comme le demandait Lénine, dans un opuscule de combat…

Ce qu’il faudrait faire..? Ne pas communiquer tous azimuts… Faire que la parole officielle soit incarnée par une personne consensuelle et charismatique, se situant du côté de l’écoute, de l’humilité. Communiquer sur un seul thème à la fois, et ne pas mélanger tous les sujets (impôts, école, économie, politique internationale, industrie, hôpital…), ce qui brouille le message, et embrouille les destinataires.

Quand à l’absence d’informations autour de la fin du confinement, qui commence à être « le » thème en ligne, cela ajoute encore de l’incertitude et donc de l’exaspération parmi la population. On ne sait pas mais on peut anticiper. Après tout, gouverner c’est prévoir, non ?

La communication, vaste chantier, alors la communication de crise ! Ce qu’il faudrait, c’est une parole sobre, « carrée », pragmatique et empathique. On en est loin.

Ce naufrage communicationnel autour du Covid19 restera un cas d’école de ce qu’il convient de ne pas faire. Les événements historiques sont d’abord des événements médiatiques. L’oublier ou le négliger revient à en payer le prix fort, en termes de crédit, de légitimité, d’adhésion à un projet politique général, et de désaveu voire de rejet. On en est là. Stop ou encore, les amateurs ?

Pascal Lardellier, Professeur à l’Université de Bourgogne

@LardellierP