Frigo bientôt connecté… L’Espion venu du froid

9, 8, 7, 6, 5… Les chiffres du décompte de la séquence filmée s’inscrivent sur les écrans de Virginie, de Pékin ou de la Baltique. Le lac Kir et ses rives sont ainsi, depuis un mois, « la » cible des analystes de la CIA à Langley, de la Ferme des Trolls à Saint-Petersbourg, ou des troupes cyber-offensives à Pékin. Quelle prise, quelle information stratégique ont-ils dans leur viseur respectif? OSS 117 et son pédalo lanceur de missiles ? Un espion à la John Le Carré à la recherche de sa « légende » engloutie dans le lac ? Le leader d’une organisation internationale de terreur et d’anéantissement ? Que nenni ! Un Dijonnais allègrement sexagénaire, sportif à ses heures, s’adonnant au footing tant pour la forme physique que pour le moral.

Minute papillon ! Ne serait-il pas malgré les apparences un agent double ? Cet honorable citoyen a simplement troqué une montre classique à pile contre un modèle hyper-connecté à 350 €, afin de mesurer pouls, tension, et tout ce qui concerne la mécanique cardiaque. Le voilà surveillé à distance, via le cadran de ladite montre, et embourbé derechef dans les limbes de l’espionnage planétaire du Big Data. Big Data qui, en réalité, possède tous les attributs odieux de Big Brother, le personnage de fiction du roman « 1984 » de George Orwell.

Autant dire que les objets connectés qui nous sont présentés comme une valeur ajoutée à la vie quotidienne – smartphone, consultation de documents ou achats en ligne, passage dans les rayons des grandes surfaces, utilisation de la carte bancaire, ou titres de transport, jeux vidéo etc- ont la faculté de portée atteinte aux libertés fondamentales, ainsi qu’à la vie privée des individus. Bref, Big Data & Big Brother nous regardent, par le biais de tous les systèmes numériques intrusifs à notre insu.

La propagande inhérente aux réseaux hypocritement baptisés de « sociaux » est redoutablement efficace : les GAFA ont une mainmise quasi-absolue sur le consommateur, espionnant le mental et manipulant à terme l’opinion publique vers ce qu’il convient ou non de penser, et bien sûr de consommer. On renoue avec l’Inquisition, d’autant que certains selfies piratés, puis diffusés à grande échelle se révèlent être des instruments de torture, notamment en milieu scolaire. Le « hic » : nous sommes tous plus ou moins logés à la même enseigne, que l’on prenne ou non des précautions pour échapper à cette surveillance à distance, ou que l’on nous donne ou non des garanties de confidentialité (1)… N’oublions jamais que le futur frigo connecté pourrait être « l’Espion venu du froid ».

Peut-on sauver notre minuscule pré-carré de libre-arbitre à une époque qui orchestre la marche de la planète à l’aune de la connexion numérique ?  Prenez l’arbre qui cache la forêt : certains scientifiques affirment qu’il serait peut-être associé à plusieurs champignons mycorhiziens, et vice versa. Et qu’il en résulterait des réseaux mycorhiziens reliant les arbres entre eux, voire à certaines plantes de sous-bois (2). Des échanges de signaux d’alertes auraient été mis en évidence lors d’expériences en laboratoire : ils pourraient même exister en forêt…

Tâchons de lever le nez de nos smartphones, et hissons cette théorie jusqu’à la poésie, au nom d’un monde meilleur : rêvons à des réseaux (enfin !) sociaux reliant la faune sauvage à un Facebook forestier, dès l’ouverture de la chasse. Avouez que ce serait vital pour les garennes, les sangliers, les faisans, les cerfs, les biches : « Allô Papa Tango Charlie. Répondez, nous vous cherchons. Allo, ici Papa Tango : fusil à l’horizon ! »

Marie-France Poirier

(1) Des entreprises, des collectivités territoriales, certains services de transport paraissent observer la garantie d’une clause de confidentialité ainsi que d’une protection des données.

(2) Une mycorhize (du grec myco, « champignon » et rhiza, « racine ») est le résultat de l'association symbiotique, appelée mycorhization, entre des champignons et les racines des plantes. Il semble que des bactéries peuvent intervenir dans cette symbiose.