Comédie dramatique française de Cédric Klapisch avec Ana Girardot, François Civil, François Berléand, Camille Cottin, Simon Abkarian … et la participation amicale et drolatique de Pierre Niney !
Rémy (François Civil, fragile, dépressif …bref à contre-emploi) et Mélanie (Ana Girardot, diaphane) ont trente ans et vivent dans le même quartier à Paris. Elle multiplie les rendez-vous ratés sur les réseaux sociaux pendant qu’il peine à faire une rencontre. Tous les deux victimes de cette solitude des grandes villes, à l’époque hyper connectée où l’on pense pourtant que se rencontrer devrait être plus simple… Deux individus, deux parcours. Sans le savoir, ils empruntent deux routes qui les mèneront dans une même direction.
Diffusé en avant première à Dijon et à Beaune, en présence (sympathique) du réal’et de l’acteur principal, le treizième film de Cédric Klapisch ne sortira en salle qu’en septembre 2019. Il vous faudra donc patienter avant de plonger dans ce grand bain de sentiments spleenétiques.
Deux moi est un tableau aux couleurs pastels, qui contrastent avec la lumière de l’été caniculaire que nous vivons. Une œuvre moderne et urbaine qui, comme souvent chez son auteur, parvient à capter admirablement l’air du temps. Le film commence dans le métro parisien, lieu de toutes les solitudes connectées, de tous les visages, toutes les figures au teint blafard. Délaissant les vignes de notre Côte d’or, Klapisch revient dans le champ du cinéma avec ce qu’il sait filmer le mieux … la ville. Et quelle ville : Paris, magnifiée déjà à plusieurs reprises, titre éponyme de son neuvième opus ! Plaisirs coupables klapischiens du « flare » photographique, apparition poétique de halo décoloré dû à la lumière, souvent en contre- jour.
Dans le supermarché « Sabbah oriental » de Simon Abkarian, les personnages se croisent sans se voir. Klapisch capte dès le début l’ultra moderne solitude de Rémy et Mélanie, des protagonistes en manque d’assurance, merveilleusement incarnés par deux comédiens trentenaires, omniprésents sur nos écrans. Depuis quatre ans, François Civil cartonne avec la série Dix pour cent et des films aussi différents que Five, Burn out, Le chant du loup, Celle que vous croyez et Mon inconnue. Quant à Ana Girardot, révélée il y a dix ans par le thriller Simon Werner a disparu, puis la série Les revenants, elle tourna Soleil battant et Bonhomme, avant de rejoindre par deux fois Cédric Klapisch.
Le cinéaste est fidèle à ses acteurs, actrices et équipes avec qui il travaille de concert. Ainsi, pour la cinquième fois, il retrouve son co-scénariste du Péril Jeune, le réalisateur argentin Santiago Amigorena, comparse avec qui il avait déjà écrit son film précédent tourné en Bourgogne, Ce qui nous lie. Ana Girardot et François Civil partageaient déjà l’affiche de cette chronique familiale avec Pio Marmai.
Dans Deux moi, aux côtés des deux jeunes trentenaires, Camille Cotin et François Berléand interprètent les psys de nos héros du quotidien, prisonniers du « bordel » de leur vie. « Il ne suffit pas d’avoir compris le problème pour pouvoir régler le problème. Et en même temps il est absolument nécessaire d’avoir compris le problème pour pouvoir le régler …le problème. » Les dialogues sont percutants, bien écrits, au service d’une intrigue qui se dessine par petites touches, entre passé tragique et un présent apparemment banal et connecté.
Malgré leurs fameux problèmes, et pour l’humanité qu’ils leur procurent, le réalisateur aime ses personnages et les acteurs qui les incarnent. C’est une persistance de l’œuvre de Klapisch, qui avait d’ailleurs rendu son Ni pour ni contre (bien au contraire) moins noir qu’il n’aurait dû l’être, et bien trop tendre avec son héroïne Cathy, incarnée par Marie Gillain : un flop après le triomphe de L’auberge espagnole. On reconnait aussi le goût persistant du cinéaste pour la danse ou la partition de Loïc Dury et Christophe Minck, ici joliment électro. Deux moi se clôture ainsi logiquement musicalement sur un pas de danse.
Mais pourquoi ce mystère malgré la chaleur des foules dans les yeux divers ? Pourquoi ces rivières soudain sur les joues qui coulent dans la fourmilière ? Souchon nous avait prévenus : c’est l’ultra moderne solitude. Bel été à toutes et à tous.
Raphaël Moretto