Générique. Nous sommes dans le Sud perdu des USA, au crépuscule. Sur les radios, les postes de télévision, un message angoissant est martelé, une alerte enlèvement pour un petit garçon de huit ans : « Il est blanc, les yeux bleus et les cheveux châtain. Il mesure 1m40 et pèse 25 kilos. » Il a été kidnappé par deux hommes dont l’un, Roy Tomlin (Michael Shannon), serait armé et particulièrement dangereux.
Mais chez Jeff Nichols, le réalisateur du film, rien n’est jamais vraiment conforme aux apparences. Dans une chambre de motel sinistre, dans l’habitacle d’une vieille voiture, deux hommes, effectivement armés et l’air déterminé, entourent un garçonnet qui correspond à la description et qu’ils cachent soigneusement sur le siège arrière de la bagnole. Aucune violence de leur part. Ils se montrent attentifs, prévenants, affectueux envers le gosse. Ils semblent vouloir le protéger et l’enfant lui-même paraît consentir à son propre enlèvement, voire en être le co-organisateur.
Dans cet univers, tout est trouble, trompeur, rien n’est sûr. Les situations ne sont peut-être pas ce qu’elles sont. Les paysages en cachent sans doute d’autres. Les médias, les autorités ne sont pas fiables et truquent l’information. L’enfant n’est pas seulement un petit bonhomme de huit ans. Pourquoi porte-t-il d’épaisses lunettes bleues hermétiques (style lunettes de plongée – ou de soudeur) ? Pourquoi ses « ravisseurs » évitent soigneusement de l’exposer à la lumière du jour, à toute lumière trop intense ?
Attention, je sais à quoi vous pensez mais c’est une fausse route. Nous n’avons pas affaire à un bébé vampire. Jeff Nichols se plaît à déjouer les clichés et les pistes trop évidentes. Le jeune Alton (c’est le prénom du gamin) a l’air d’un enfant sage, gentil, intelligent, mais il n’est pas que cela. Parfois, des jets de lumière d’une puissance infinie jaillissent de ses yeux (et on comprend que les lunettes sont là moins pour le protéger que pour protéger les autres), il parle « en langues », c’est-à-dire qu’il manie avec aisance toutes les langues étrangères qu’il a entendues (ou non), il énumère des chiffres et des mots qui « contiennent des données hautement confidentielles, lesquelles n’ont été transmises que par satellite et sous des formats inviolables » précisera plus tard un agent de la NSA, une barbouze si vous voulez.
Si proche et si lointain, Alton s’avère à la fois terriblement humain, fragile, enfantin et d’une essence différente, supérieure. Le casting a déniché pour l’incarner un petit acteur étonnant (Jaeden Liederher) qui suggère à merveille le double caractère à la fois attendrissant et objectivement redoutable de cet être aussi touchant qu’impavide.
On comprend vite que Jeff Nichols se sert d’un thème très classique de la science-fiction : celui de l’enfant aux pouvoirs mystérieux, à proprement parler inhumains. De telles aptitudes sont bien sûr convoitées par des forces, des institutions encore plus malfaisantes que le plus terrifiant des mutants. D’un côté, une secte religieuse voit dans Alton un Sauveur messianique qui dévoile le destin du monde et protègera ses fidèles de l’Apocalypse imminente. De l’autre, la police, l’armée, le FBI, la CIA, pires évidemment, voient en lui une « arme » à disséquer, à comprendre, à maîtriser et bientôt à utiliser…
Roy Tomlin est en réalité le père du garçon, et il a donc enlevé, disons libéré, son propre fils du « Ranch » où la secte évoquée plus haut le séquestrait et le vénérait. Pour cela, il a reçu l’aide d’un vieil ami (Joel Edgerton), policier de base (il y a donc au moins un bon flic dans ce film). Mais maintenant, ils ont à leurs trousses les tueurs de la secte, les agents sans scrupules de l’Etat et même les satellites espions. A un moment donné, très précis, ils devront avoir atteint un lieu tout aussi précis où l’enfant pourra assumer sa véritable nature. Celle d’un mutant ? D’une entité surnaturelle ? D’un extra-terrestre enfermé dans un corps humain ?
Non, rien de tout cela… J’ai dit que Jeff Nichols était un auteur et un réalisateur vraiment original et inventif. Vous pouvez le vérifier (et découvrir la vraie nature d’Alton) en regardant ce film sobre, dense, elliptique, découpé à la seconde près – et qui a l’intelligence de ne pas tout expliquer. Un film qui mêle subtilement le thriller, la chronique sociale, la méditation sur l’amour paternel et la meilleure science-fiction.
Références : Midnight Special, USA, 2015
Réalisateur et scénariste : Jeff Nichols.
Interprètes : notons la présence du dramaturge et acteur Sam Shepard dans le rôle du gourou de la secte, manipulateur et cauteleux à souhait.
Edité en DVD chez Warner Bros Video.