INTÉGRALE JIM JARMUSCH

Dans le récent trailer qui annonce la rétrospective de six films de Jim Jarmusch dans des versions restaurées, on peut entendre le titre « I put a spell on you » (littéralement, « je t’ai jeté un sort ») de Screamin’Jay Hawkins, ballade certainement un peu plus heurtée qu’elle n’aurait dû l’être, le chanteur étant ivre lors de la session d’enregistrement en 1956. Musique et cinéma sont intimement liés dans le cinéma si particulier de Jim Jarmusch, œuvre qui semble naître de ses personnages, interprétés souvent par de grands musiciens : trois films en noir et blanc et trois en couleurs pour le début de carrière de cet ancien assistant de Wim Wenders, révélation de la Croisette en1984 avec Stranger than Paradise.

Dans ce deuxième long-métrage, Caméra d’Or à Cannes et Léopard d’or au festival de Locarno, la jeune Eva (la chanteuse et violoniste hongro-américaine Eszter Bálint) quitte la Hongrie, retrouvant son cousin Willie (John Lurie à nouveau) et son pote Eddie (Richard Edson, batteur de Sonic Youth). Inadaptés à cette terre de désillusions, tous les trois partent de Miami découvrir le paradis de la Floride et le royaume du jeu. Stranger than Paradise marque une date dans l’histoire de la nouvelle vague américaine, hommage au road-movie et à Wim Wenders, qui remporte la Palme d’or cette même année 1984 pour Paris Texas. Un beau coup double pour le cinéma d’auteur lent, profond et hypnotique du milieu des eighties.

Quatre ans auparavant, son film de fin d’études, Permanent Vacation définit déjà le style de son auteur : poétique, contemplatif avec un goût pour la solitude, l’errance, les marginaux et la musique, singulièrement celle du saxophoniste John Lurie, qui deviendra un des acteurs fétiches de Jarmusch. Permanent Vacation est le récit de deux jours et demi de la vie d’Aloysious Parker, jeune vagabond confronté à des situations diverses et à des gens pratiquement tous étrangers au monde du travail quotidien. L’image brute, raccord avec le propos, est proche du super 8.

Promu nouvelle idole du cinéma indépendant américain, Jarmusch revient sur la Croisette en 1986, mais cette fois en compétition, avec Down by Law : dans une cellule de Louisiane se retrouvent Jack (l’inévitable John Lurie), un petit proxénète, et Zack (Tom Waits qui signe aussi la musique du film), un disc-jockey. Les deux hommes se détestent. Roberto (le futur grand réalisateur Roberto Benigni), un Italien, les réconcilie. Tous les trois s’évadent et errent dans les marais. Jarmusch affine son style avec humour dans de longs plans-séquences, s’appuyant encore une fois sur un trio de comédiens qui ont d’autres cordes sensibles à leurs instruments.

Trois ans plus tard, dans Mystery Train, à Memphis, la ville du King, un couple de Japonais en pèlerinage, une jeune femme venant chercher les restes de son mari, quelques copains dépressifs et alcooliques vont se croiser dans un hôtel minable, sans vraiment se rencontrer, dans une sorte de comédie romantique et nostalgique. Le titre du film est également celui d’une chanson d’Elvis Presley, et on peut noter les apparitions des célèbres chanteurs Joe Strummer des Clash, Screamin’Jay Hawkins et Rufus Thomas. Jarmusch revient à la couleur avec ce puzzle cinématographique, poétique et graphique.

Adepte également du format court, Jarmusch réalise en 1991 le film à sketches Night on Earth, racontant cinq rencontres entre un chauffeur de taxi et un ou une passagère, dans cinq villes du monde. La distribution est prestigieuse : Gena Rowlands, Winona Ryder, Roberto Benigni, Béatrice Dalle, Isaach de Bankolé … Le cinéaste américain tourne aussi une série de courts-métrages intitulés Coffee and cigarettes, dans lesquels on retrouve son univers décalé et ses comédiens fétiches. L’un des courts est couronné d’une Palme d’or en 1993.
Après cette nouvelle récompense cannoise, Jim Jarmusch revisite le western avec Dead Man, œuvre onirique présentée à Cannes, portée par un Johnny Depp à la présence magnétique. Ce voyage funèbre et rimbaldien dans un noir et blanc éclatant est une invitation à passer sur « l’autre rive ». Une autre dimension sans doute appelée cinéma.

Raphaël Moretto

Intégrale Jim Jarmusch, à l’Eldorado à partir du 19 juin 2019.

Ses 6 premiers films : Permanent Vacation (1980), Stranger than paradise (1984), Down by law (1986), Mystery Train (1989), Night on Earth (1991) et Dead Man (1995)