Le citoyen lambda utilise environ un vocabulaire de 5 000 mots. Si l’on chemine du côté du Petit Larousse, c’est une autre paire de manche : environ 63 000 mots y sont aujourd’hui répertoriés. Trois fois plus que l’aïeul du célèbre dico qui n’en comptait que 28 000 au 19ème siècle. La nouvelle édition intègre des mots ou expressions que d’aucuns – philosophes ou essayistes – appellent avec un dédain appuyé la « novlangue ». La voilà donc qui sème à tout vent des anglicismes, tels que « burn-out » et son synonyme plus tendance « bore-out ». La version 2020 s’enrichit de 150 nouveaux mots venus d’au-delà la Manche ou l’Atlantique, provenant pour l’essentiel du monde du business ainsi que des réseaux numériques. Pas mal de ces substantifs se sont, au cours de la traversée, délestés de leur signification originelle…
Cette affaire d’import/export énerve fortement les beaux esprits partis en croisade pour la défense d’un français jadis plus élégant et raffiné, de notre syntaxe délicieusement sophistiquée ou encore du jeu plutôt ardu des verbes conjugués au passé des subjonctif ou et conditionnel. Parmi ces linguistes purs et durs, Quentin Périnel se montre l’un des plus combatifs, traitant cette invasion sémantique de « novlangue indigeste. Et suffoque d’indignation de la voir sanctifiée par le Larousse (1). A y regarder de près, il n’a pas tort : ces néologismes -dont il fait fait un usage frelaté ainsi qu’abusif – décrivent les actions banales d’un cadre au boulot, et constituent la substantifique moelle des messages lapidaires et caricaturaux envoyés par les people (Oh, le verbiage !) sur Twitter, Amstagram et compagnie. Quant au sacro-saint « brainstorming » dont on nous rebat les oreilles, c’est tout bêtement le vocable « in » dont on affuble la classique réunion entre cadres sup ou VIP d’une entreprise !
Cette poudre perlinpimpin Wall Street ou Silicon Valley saupoudre un espace-temps où ne sont censés évoluer que des « pointures » aux QI semblables à celui d’Einstein. A décrypter de près les méli-mélo d’un de leurs brainstorming, qu’observe-t-on ? Des participants qui se la pètent à coup de langage abscon et à usage uniquement interne. Au final le plus costaud emportera le morceau, clamant un « It make sense » – qui ne signifie rien en français dans le texte. Vous suivez ? Bien… En moins chic, ce n’est ni plus ni moins que le copié/collé de l’écriture hiéroglyphique des scribes de la Haute-Egypte tenue secrète pour être hors de portée du vulgum pecus de l’époque … Larousse ou pas, il s’agit là de vocables strictement descriptifs, aucunement conceptuels n’éclairant en rien l’époque. Pas de quoi redonner ses lettres de noblesse à un français un rien décadent, aujourd’hui moins élégant et moins propice à l’abstraction. Le Petit Larousse illustré nous en fait-il perdre notre latin ?
Marie-France Poirier
(1). Pour en arriver là, les collaborateurs pluralistes du Small Larousse édition 2020 – alias slasheurs en novlangue – ont scruté la presse, les réseaux sociaux, la publicité pour sélectionner dans un premier temps 500 mots et n’en garder que 150.