Avis de gros temps sur les fonds baptismaux

On observe un subtil changement dans la conception du temps que nous avions depuis les débuts de l’ère chrétienne – surtout depuis l’essor des corporations à la fin du Moyen-Age. Jusqu’aux environs des années 50 / 70, nous évoluions dans ce temps linéaire, scandé par un « avant JC » et un « après JC », qui se satisfaisait d’un christianisme se conjuguant aux futurs de l’éternité ou aux conditionnels de l’au-delà. Bien sûr, les cultures occidentales et anglo-saxonnes considèrent toujours le temps linéaire à la fois comme une entité qu’il est possible de planifier, ainsi que comme un facteur de progrès tant matériels que technologiques. Mais les jeunes générations, façonnées par les outils du numérique, vivent dans une sorte d’état d’urgence permanent, submergées qu’elles sont par une bande d’informations tournant en boucle.

Pour exister dans ce nouvel univers intrusif des stimuli, il faut entretenir constamment des connexions, envoyer des messages à tout le monde. Et comme on contacte de plus en plus de monde, il faut envoyer de plus en plus de messages et en recevoir de plus en plus ! Comme l’huile et l’eau, ces deux visions d’un temps linéaire et d’un temps de l’immédiateté ne se mélangent pas. L’ère numérique a comprimé le temps au point que notre capacité d’attention, de réflexion s’est réduite au profit d’une montée en puissance du ressenti individuel, de l’émotion. Quant à nos capacités de construire un jugement dans le cadre du déroulement long de l’Histoire ou celui des religions, n’en parlons pas… Ou plutôt, parlons-en !

Rien de surprenant que l’Eglise d’aujourd’hui fasse les frais de cette dichotomie, rattrapée qu’elle est par la justice des hommes – plus expéditive que celle de Dieu – en matière de condamnation d’actes de pédophilie. Chaque jour, la liste des scandales au sein du clergé s’allonge… Les victimes de ces abus sexuels – on les comprend – trépignaient jusqu’ici devant l’absence de toute réponse. Or le Pape François vient de promulguer une législation rendant obligatoire le signalement des abus sexuels commis dans chaque diocèse.

L’association « Parole libérée », qui regroupe un certain nombre de victimes, salue cette décision, tout en craignant qu’une partie des ecclésiastiques continuent de se réfugier dans l’omerta, plutôt que de se plier aux nouvelles lois papales : faire bouger les lignes bimillénaires du royaume de Dieu sur terre peut difficilement se faire en un claquement des doigts, tandis que nos cyber-âmes façonnées dans le moule de l’instantanéité numérique réclament réparation au plus vite !

Ainsi plus de deux mille Français, manifestant leur désapprobation face aux lenteurs du Vatican, ont renvoyé l’an dernier leurs certificats de baptême et demandé à ne plus être considérés comme catholiques. Face à ces ouailles en rébellion, et même si la Conférence des évêques de France assure vouloir avancer, la messe est loin d’être dite. C’est, en effet, toute une refonte du dogme qui doit s’opérer. Refonte qui concerne notamment la conception chrétienne de la sexualité – en l’occurrence son abstinence tout au long d’un sacerdoce – toujours inculquée dans les séminaires (1). La formation et l’enseignement dispensés préparent assez peu les ecclésiastiques à acquérir la maturité ou la maîtrise de leurs pulsions pour aborder les tentations de la sexualité, tant qu’on se bornera à répéter aux futurs prêtres que l’amour charnel, c’est se pacser avec le Diable ! Inutile de dire que l’immense corpus ecclésiastique, pour s’être réfugié dans un silence coupable pluri-centenaire et s’être longtemps abrité derrière la raison d’état, va prendre un certain… temps avant d’aller à confesse.

Marie-France Poirier

(1) Le mariage n’a jamais empêché la pédophilie. Comme en témoigne la fréquence d’abus sexuels dans l’enseignement, les centres de formation sportifs, etc. Il est sans doute des métiers à risques plus que d’autres : c’est là un aspect rarement étudié. Voilà pourquoi le célibat des prêtres s’avère moins un problème que la notion de péché qui entache encore en filigrane dans le monde chrétien tout acte sexuel.