Réputation, aléa judiciaire, plaidoirie et réformes… le dijonnais Paul Brocherieux nous parle du monde de la Justice et de sa vie de jeune avocat.
Dijon l’Hebdo : Vous avez prêté serment il y a trois ans. Vous êtes donc un jeune avocat, comment se constitue-t-on une clientèle ?
Paul Brocherieux : « Notre carrière débute par une période de 3 à 10 années en tant qu’avocat collaborateur, c’est à dire qu’au sein d’un cabinet on nous donne des dossiers à traiter. Ce système permet d’acquérir de l’expérience et de se faire connaître. Pendant ce temps, on fait aussi en sorte de traiter d’autres dossiers. Nous sommes, par exemple, régulièrement commis d’office lorsque les justiciables ne connaissent pas d’avocat. À la fin de notre période de collaboration, on est donc normalement autonome. Il est aussi possible de s’associer et / ou de récupérer une clientèle auprès de confrères plus âgés. Toutefois le client a toujours le choix de son avocat et conserver une clientèle peut donc s’avérer difficile ».
DLH : Vous acceptez tous les dossiers proposés ?
P. B : « Pendant la période de collaboration initiale, le plus souvent oui car nous n’avons pas encore de clientèle et parce que toute personne a droit à un avocat. En cas de refus, et dans l’hypothèse d’une commission d’office, il faut le justifier auprès de son bâtonnier, qui est le « chef » des avocats au sein d’un barreau, mais c’est très rare. Une fois autonome et en l’absence de commission d’office, on peut plus facilement refuser puisqu’on n’a de comptes à rendre à personne, mais ça ne devient pas plus courant pour autant, le devoir passe avant le reste. On me demande souvent comment je peux défendre un violeur, je réponds que c’est l’essence même du Droit. Toute personne a le droit d’être défendue et puis on doit absolument apprendre à se détacher de certains sujets pour travailler. Mais on a tout de même une clause de conscience, si un dossier nous touche particulièrement, si on sent que ça peut dépasser le cadre professionnel ou si on ne veut pas défendre quelqu’un pour une autre raison, il est possible de se retirer du dossier ».
DLH : Comment faites-vous pour connaître toute la législation ?
P. B : « J’ai recours presque tous les jours aux codes civil et pénal… Et ceux-ci ont doublé de volume en 20 ans ! L’immense variété des dossiers ne nous permet pas de tout connaître quand, dans une même semaine on défend une femme battue, un jeune employé exploité, un conducteur en état d’ivresse, un vol à l’étalage…
Il existe des avocats généralistes mais au bout de quelques temps la plupart choisit de se spécialiser dans un ou deux domaines pour passer moins de temps à reprendre l’ensemble des textes. C’est ce que je compte faire d’ici quelques années, car même si la variété de sujets était l’une de mes motivations à devenir avocat, chaque domaine a ses propres sous-parties. J’aimerais faire du droit rural et du droit social, qu’on appelle aussi droit du travail ».
DLH : Comment allez-vous faire pour vous spécialiser ?
P. B : « Je dois présenter un dossier puis passer un examen et je serai jugé par mes pairs qui m’octroieront ou non, le titre de spécialiste dans ces domaines ».
DLH : Si les avocats sont plus ou moins experts selon les domaines, est-ce que ça signifie que la décision judiciaire est variable ?
P. B : « Oui bien sûr. Pour un même délit, la décision peut être différente d’une semaine à l’autre selon l’état de forme ou de fatigue de l’avocat, selon ce qui est arrivé au juge les jours précédents, selon son identité ou le temps écoulé depuis les faits, selon l’actualité nationale ou internationale, c’est ce qu’on appelle l’aléa judiciaire… Ce sont aussi des éléments que nous pouvons utiliser, mais il y a parfois de grandes frustrations quand on sait que juridiquement on a raison mais que le jugement rendu ne nous est pas favorable. C’est que équité et droit ne sont pas la même chose ».
DLH : Les réformes actuelles visent-elles à pallier cet aléa ?
P. B : « Oui en quelque sorte. Elles veulent robotiser la justice à l’aide d’algorithmes et d’ordinateurs pour qu’il y ait moins de juges et pour accélérer les procédures mais ça déshumanise la Justice, et ça veut dire rendre un jugement sans avoir vu le justiciable ni les particularités de son dossier, or je suis convaincu que la présence physique est indispensable. Et même si ça n’est pas parfait avec des êtres humains, c’est mieux qu’avec des robots ».
DLH : Quelle relation avez-vous avec les clients ?
P. B : « J’essaye d’instaurer une relation de confiance sans devenir familier. Pour du pénal, je les vois minimum une fois avant l’audience. Selon la gravité ou l’enjeu de l’affaire, ça peut aller jusqu’à trois fois. La relation avec eux est dite « intuitu personae », c’est à dire qu’elle est propre à chacun, elle n’est pas renouvelable, je n’ai pas deux fois le même échange. Et bien sûr jamais je ne prendrai en charge le dossier d’une personne que je connais personnellement ».
DLH : Vous êtes souvent confronté à la violence ?
P. B : « Rarement. En cours de procédure ou à la sortie d’une audience on peut être insulté par la partie adverse et même parfois par son propre client et j’ai eu une fois le cas d’un client constamment encadré par quatre policiers car il avait agressé son précédent avocat… »
DLH : Vous pouvez plaider ailleurs que dans un tribunal ?
P. B : « Oui nous intervenons parfois dans des centres hospitaliers. Au centre hospitalier de la Chartreuse, il y a par exemple une salle de jugement où nous nous rendons pour des contentieux relatifs à la liberté c’est à dire quand l’internement d’une personne a été décidé contre son gré et que les règles d’hospitalisation d’office n’ont donc pas été respectées. Nous savons que la personne est réellement malade mais notre rôle est de faire appliquer la loi, de faire respecter les libertés fondamentales. Cela existe également en cas de modalités de garde-à-vue non respectées et là aussi, qu’une personne dangereuse soit libérée n’intervient pas dans notre travail, nous défendons uniquement son droit à être traitée selon les règles établies ».
DLH : C’est l’un des rares métiers où l’on porte encore un habit ancien, vous trouvez cela utile ?
P. B : « Oui et je le crois même nécessaire. La robe est un vêtement neutre, fait d’un simple morceau de tissu, ce qui nous ramène à la sobriété de notre fonction, celle de défendre avec impartialité le Droit. Avoir tous la même maintient l’égalité entre les avocats et permet aussi de nous différencier des autres personnes dans un tribunal, on vient nous voir pour des conseils, des renseignements, c’est un repère. Et surtout quand on plaide, la salle d’audience ne voit pas notre style vestimentaire, notre identité personnelle n’y a pas sa place, on est avocat et rien d’autre ».
DLH : Comment apprend-on à plaider ?
P. B : « Il faut savoir que tous les avocats ne plaident pas. Ceux qui ont choisi de faire du conseil ne se rendent pas à des audiences et ne plaident donc jamais. Pour les autres, ceux qui ont choisi de faire du contentieux, nous avons d’abord une formation à l’Ecole des Avocats pendant laquelle on reçoit des cours de plaidoiries. Ensuite, cela se travaille, s’affine avec les années, on acquiert de l’assurance, on apprend à poser sa voix, à utiliser les silences, à se mouvoir dans la salle d’audience, à adapter le ton au sujet de l’affaire. On apprend aussi beaucoup en regardant les confrères plaider ».
DLH : Avez-vous beaucoup de contacts avec vos confrères et consœurs ?
P. B : « Dans le cadre du travail, nous échangeons souvent car ce n’est pas un métier où règne un esprit de compétition. On demande naturellement conseil aux uns et aux autres, il y a une réelle solidarité et bienveillance entre chacun. À Dijon, il existe une association à but non lucratif, l’Union des Jeunes Avocats, qui organise des événements régulièrement pour le barreau et qui accueille les nouveaux arrivants, ce qui permet de se connaître. Chaque année il y a un bizutage par la parole qui est organisé, sous forme de fausses plaidoiries devant ceux qui souhaitent y assister, en général une centaine sur les 350 avocats dijonnais. Il y a aussi une grande soirée ou « revue » tous les 5 ans, et ça tombe cette année, à laquelle le monde du Droit est invité et qui est une sorte de bêtisier pour tourner en dérision le monde judiciaire à l’aide de sketchs, danses, chants et imitations diverses ».
DLH : Enfin, pour être un bon avocat il faut…
P. B : « Savoir écrire. On l’ignore souvent mais nous passons beaucoup de temps à rédiger des actes dans lesquels il faut exposer de manière claire et concise de très nombreuses situations, et rapidement car le flux de dossiers est constant. Il faut également des qualités humaines, avoir envie d’aider les gens au-delà de l’aspect juridique, voir un client qui ressort d’une audience soulagé est une grande satisfaction ».
Propos recueillis par Caroline Cauwe