Le grand spécialiste du général de Gaulle à Dijon

Au moment où il est beaucoup question d’une figure tutélaire au sommet de l’Etat pour sortir de la crise, le grand historien qui a enseigné à la Sorbonne et à Oxford, François Kersaudy, interviendra lors d’une conférence-débat le 7 février prochain à 18 h 15 à Sciences-Po Dijon sur : « De Gaulle, un phénomène du XXIe siècle ». Interview…

Dijon l’Hebdo : Vous avez été le premier et le seul à rédiger un ouvrage référence sur les relations entre Charles de Gaulle et Winston Churchill. En quelques mots, comment pourriez-vous les qualifier ? Votre formule – « la mésentente cordiale »  – a, en tout cas, fait école…

François Kersaudy : « Eh bien, ils se sont rencontrés en juin 1940 dans des circonstances dramatiques, ils se sont épaulés, querellés, réconciliés, querellés encore et réconciliés définitivement après la guerre – sans jamais cesser de s’admirer. C’est qu’ils avaient en commun le refus de la défaite, la même vision longue de l’Histoire, la même capacité à penser en termes mondiaux, le même autoritarisme, la même maîtrise de leur langue, la même confiance dans leur capacité à faire bouger les choses, le même attachement à leurs empires respectifs, le même rejet absolu du nazisme et du communisme… C’étaient aussi les mêmes hybrides de politique et de militaire, et ils avaient le même patriotisme en acier trempé. Mais leurs patries n’avaient pas toujours les mêmes intérêts – d’où la mésentente cordiale… » 

DLH : Vous avez également publié un verbatim des multiples formules du Général de Gaulle. Si vous ne deviez en retenir que deux, quelles seraient-elles ?

F. K : « Un choix délicat ! Disons celle-ci : « Le plus difficile est de rester réaliste quand on a un idéal, et de garder son idéal quand on voit les réalités. » Et puis celle-ci, qui est également d’actualité : « Il arrive souvent que les intérêts des Français, ou ce qu’ils croient tel, ne coïncident pas avec ceux de la France ».

DLH : Beaucoup ont comparé la situation actuelle, gilets jaunes obligent, que doit affronter le président Emmanuel Macron avec celle qu’a vécue le Général de Gaulle en 1968. Quel est votre sentiment sur cette comparaison ?

F. K : « Il y a des points communs : les deux présidents ont été pris au dépourvu par la soudaineté du soulèvement et par le degré de haine qu’il véhiculait à l’encontre de l’Etat en général et du chef de l’Etat en particulier ; les deux mouvements sont partis de revendications rationnelles pour déboucher sur des exigences aussi nébuleuses que contradictoires ; leurs leaders occasionnels n’ont cessé de s’invectiver et de se diviser entre tous les courants de l’anarchie, de l’extrême gauche et de l’extrême droite ; le chantage à l’émeute, aux blocages et aux occupations sauvages a été assez semblable, de même que la manipulation de la violence contre l’autorité légitime ; les chefs des partis se sont montrés presque uniformément lamentables (…) Mais il y a aussi de grandes différences : on ne se croit plus obligé de prendre au sérieux le petit livre rouge, ou de s’extasier devant les portraits de Mao, de Trotski et de Staline promenés dans les rues de Paris. Aujourd’hui, par contre, les réseaux sociaux donnent une forte impulsion aux entreprises subversives, à laquelle les chaînes d’information ajoutent une dictature de l’instantané et de l’émotion. Enfin, la situation économique et sociale du pays est devenue plus précaire, si bien que nos gouvernants ont des marges de manœuvre nettement plus réduites qu’en 1968 ».

DLH : Le référendum révocatoire est aussi largement évoqué aujourd’hui. Le Général de Gaulle, qui a utilisé régulièrement l’arme du référendum pensait qu’il fallait le plus souvent redonner la parole au peuple. Pensez-vous que la Constitution de 1958, que l’on lui doit, met suffisamment le peuple au coeur des décisions ?

F. K : « Le Général pensait que le peuple devait trancher lorsque le Parlement était trop divisé pour décider de réformes fondamentales, ou lorsque la question engageait l’avenir du pays – d’où les référendums sur la Constitution de 1958, les accords d’Évian, l’élection du président au suffrage universel et la régionalisation… Le « référendum révocatoire » demandé actuellement est très différent : il s’agit pour ses inspirateurs de contourner le Parlement et de remplacer la démocratie représentative par une « démocratie participative » permettant idéalement de remettre sans cesse en question toute autorité élue, toute politique quelque peu suivie et tout dessein à long terme pour la France – bref, un rêve d’anarchiste ! Le général de Gaulle disait : « L’État est un garde-fou qui empêche les farfelus et les truands de faire n’importe quoi ». Aujourd’hui, l’électoralisme, le complotisme, la démagogie, l’idéologie, la naïveté, la pusillanimité, la médiatisation et la victimisation ont rendu ce garde-fou extrêmement vulnérable… »

Propos recueillis par Camille Gablo

Cette conférence-débat est organisée par l’association côte-d’orienne « Fidélité au Général de Gaulle ». Inscriptions obligatoires auprès de Mme Calba (03.80.67.72.25) ou de M. Brochot (03.80.38.32.85).