Psychiatrie : « Il y a un tabou qui stigmatise nos patients et les équipes »

« Médecin des fous », de leur propre aveu les psychiatres sont souvent perçus comme tels par la société. Entre stéréotypes coriaces et nécessaire confidentialité, cette profession est mal connue ; les médecins dijonnais Claude G. et Rosine M. lèvent le voile sur leur vie de psychiatre.

Quelles sont les différentes manières d’exercer la psychiatrie ?

Rosine M. :« À Dijon, les psychiatres du secteur public se partagent entre différentes structures : le CHU, le Centre Hospitalier de la Chartreuse, les hôpitaux de jour et enfin les CMP (Centres Médico-Psychologiques) de Dijon et alentours, qui sont des centres de consultation où exercent des équipes pluridisciplinaires. »

Claude G. :« Tandis que dans le secteur privé, le médecin pose sa plaque où il veut et reçoit seul des patients sur leur demande. »

Comment devient-on psychiatre ?

C. G : « Après 6 années d’études de médecine, j’ai passé mon internat au début des années 80, certaines choses ont changé depuis mais la structure générale est la même : il durait 4 ans et l’enseignement était déjà articulé selon trois modalités : stages à l’hôpital, séminaires et cours théoriques ; c’est l’encadrement qui a changé. Nous faisions beaucoup d’exposés oraux devant les autres, sur des thèmes précis comme la dépression ou la névrose obsessionnelle, alors qu’aujourd’hui les cours sont très majoritairement magistraux. »

R. M :« J’ai effectué mon internat dans les années 2010 et l’enseignement était effectivement magistral mais il est justement en plein bouleversement. Il y a maintenant une volonté d’uniformiser les connaissances à l’échelle nationale car il y a des disparités, on ne reçoit pas le même enseignement d’une ville à l’autre selon les différentes spécialités, formations et approches des professeurs. Aujourd’hui de nouvelles modalités d’enseignement se développent avec l’e-learning, les centres de simulation, les plateformes de cours en ligne. Il existe même depuis peu une association dédiée à l’enseignement de la psychiatrie, l’AESP (Association pour l’Enseignement de la Sémiologie Psychiatrique), qui partage depuis son site internet des outils d’enseignement et a aussi créé une application pour smartphones qui définit les termes psychiatriques ou propose des vidéos explicatives. La psychiatrie se modernise donc. »

C. G :« Et comme toutes les disciplines de médecine, elle évolue. Les séminaires par exemple n’ont pas la même orientation selon les époques, ils traitent des mêmes thèmes, thérapie familiale, musicologie… Mais aujourd’hui on est en pleine époque des neurosciences et la psychanalyse connaît un désamour alors que c’était très à la mode quand j’étais étudiant, c’est d’ailleurs comme ça que s’est éveillée ma vocation : en classe de philo pendant l’année de Terminale nous avions abordé Freud, l’interprétation des rêves, et ça m’avait passionné. Une fois étudiant j’ai fait un stage à la Chartreuse avec le Docteur Bour sur le psycho-drame et je me suis inscrit à une option sur la relation médecins / malades avec le Professeur Trappet qui ont confirmé mon envie. »

Rosine, vous êtes également arrivée à la psychiatrie par la théorie ?

R. M : « Non, plutôt par la pratique. J’étais en 5èmeannée de médecine et je ne savais pas encore vers quelle spécialité m’orienter et puis j’ai fait un stage pendant lequel j’ai pris en charge des patients toxicomanes et cela m’a beaucoup plu. L’un des intérêts de la psychiatrie est la grande diversité des patients pris en charge, nous rencontrons des personnes aux histoires de vie singulières et venant de tous les milieux socio-professionnels. Ils souffrent de troubles variés : dépression, bipolarité, trouble psychotique, état de stress post-traumatique, trouble anxieux généralisés. »

Vous croisez des profils qui font peur à la société, certains ont commis des crimes, est-ce que vous pouvez refuser de traiter un cas ?

R. M : « On se doit d’être thérapeutique pour le patient, c’est à dire qu’on doit pouvoir entendre tout ce qu’il va nous dire. Un patient, quelle que soit sa situation, reste notre patient et nous son médecin, il faut donc bien se connaître et connaître ses limites. Si on considère qu’on ne pourra pas être thérapeutique parce que l’histoire d’un patient nous touche, on doit l’orienter vers un collègue. Quant aux patients incarcérés, c’est au SMPR (Service Médico Psychiatrique Régional) que ça se passe, dans l’unité de soins psychiatriques du centre pénitentiaire. »

C. G :« Et à leur sortie, au lieu de purger une peine de prison, certains bénéficient d’un suivi dans le cadre du SPIP (comité de probation). Il y a une autre situation qui oblige à faire une entorse aux procédures habituelles : si un malade annonce son intention de tuer une personne, à ce moment-là nous devons faire un signalement. En revanche, s’il confesse un meurtre commis, rien ne nous y oblige, ça fait partie du secret médical. »

Ca n’est pas difficile de vivre toute sa carrière avec ce secret médical justement ?

C. G :« Au travail non parce qu’on échange avec les collègues. En dehors ça peut l’être mais on doit faire un effort et ne pas penser aux patients une fois hors de l’hôpital. Au début, il y a souvent une déformation professionnelle, on observe ou analyse son entourage et puis on apprend à faire la séparation entre vie professionnelle et personnelle. Mes enfants m’ont reproché parfois de ne pas avoir su ce que je faisais exactement mais je suis resté vague, la confidentialité est trop importante. Il y a aussi les gens curieux qui espèrent avoir des infos par exemple quand il y a une histoire médiatique. Ils veulent aussi qu’on fournisse une interprétation des comportements, qu’on les analyse à partir de faits isolés, ce que je veux, ni ne peux faire ! »

R. M :« Oui, ils pensent qu’avec une phrase on va faire un diagnostic. Certains de mes amis craignent que j’analyse ce qu’ils me disent mais je crois qu’il faut laisser au maximum à l’hôpital le médecin qu’on est. »

C. G :« Par contre, il faut parler de notre travail quand il y a une méprise trop importante. Notre rôle est aussi de témoigner de certains dysfonctionnements sociaux, il faut que les gens sachent que c’est parfois la société ou la famille qui empêchent une personne malade de guérir. »

Vous êtes souvent confrontés à la violence ?

C. G :« Aux urgences, de plus en plus oui. Dans les CMP c’est plutôt rare et quand ça arrive on n’est pas seul, l’équipe au complet est présente. »

R. M :« Les gens gardent une image désuète de la psychiatrie. On est parfois obligé d’avoir recours aux mesures de contention physique mais c’est encadré et la nécessité est réévaluée très régulièrement. »

C. G :« Il y a néanmoins une augmentation de ce type de soins à cause du manque de personnel car il y a un vrai problème de moyens et nous parlons ici de psychiatrie de l’adulte mais la pédopsychiatrie, qui concerne les enfants et adolescents, souffre aussi énormément. C’est un cercle vicieux, il y a un tabou qui stigmatise nos patients et les équipes, celle-ci se retrouvent découragées ce qui provoque un manque d’attractivité professionnelle… Il y a 30 ans, nous avions 150 lits de psychiatrie au CHU de Dijon, il y en a moins de 50 aujourd’hui ; on est obligé de faire sortir les patients plus vite. »

R. M : « Et notre discipline a ceci de particulier qu’on ne peut pas hospitaliser nos patients ailleurs qu’en psychiatrie comme le font d’autres services de médecine ou de chirurgie ; il y a le risque suicidaire par exemple qui nécessite une surveillance particulière. »

Ces équipes sont composées d’autres psychiatres ?

R. M :« D’autres psychiatres oui mais aussi de psychologues, d’aides-soignantes, d’assistantes-sociales, d’internes et externes, d’infirmières, d’ergothérapeutes, il y a beaucoup d’intervenants ! »

C. G :« Sans oublier l’aide de médiateurs thérapeutiques comme des metteurs en scène de théâtre, des potiers, des peintres, des animateurs d’équitation, qui proposent des activités complémentaires à nos soins. Nous travaillons également avec les autres spécialités médicales, notamment dans le cadre de la psychiatrie de liaison, quand le médecin se déplace dans d’autres services de l’hôpital pour accompagner des pathologies chroniques par exemple. »

Claude, vous avez environ trente ans d’exercice derrière vous, quelles sont les parts de théories, intuition et expérience dans l’exercice de votre métier ?

« Les trois sont complémentaires. Chaque patient est différent, entre un mal-être passager et un cas de schizophrénie, l’accompagnement n’est pas le même et je n’utilise jamais deux fois la même méthode. La théorie est importante mais elle ne doit pas être un dogme. Il faut connaître les courants de pensée mais garder à l’esprit leur aspect relatif. L’intuition doit être prise en compte tout en restant prudent également et bien sûr l’expérience est fondamentale, la transmission d’expérience aussi car ça n’est pas une science figée, c’est bien plus complexe. »

Rosine, vous êtes au début de votre carrière, qu’attendez-vous de cette profession ?

« L’envie que j’avais en choisissant ce métier était d’être utile aux gens. Je pense que la psychiatrie est en pleine évolution et j’aimerais y participer, participer à l’évolution de l’enseignement mais aussi à celle de l’approche des pathologies. La psychiatrie est une science médicale qui se rapproche également des sciences humaines, c’est ça qui me plaît. Les histoires que nous confient les gens sont parfois lourdes, tout comme les maladies dont ils souffrent, notre travail est de les accompagner et d’essayer de les soulager. »

Enfin pour un être un bon ou une bonne psychiatre, il faut…

C. G :« De l’empathie et de la patience. Il faut comprendre la souffrance de l’autre et ne pas vouloir absolument des guérisons immédiates mais accepter que cela peut prendre du temps, parfois beaucoup de temps… J’ai vu une dame guérir d’une dépression au bout de 15 ans. »

R. M :« Pouvoir tout entendre et s’intéresser en permanence. S’intéresser aux gens mais aussi aux avancées de la science. »

Propos recueillis par Caroline Cauwe

Il faut le savoir

Contrairement aux psychiatres, les psychologues ne sont pas médecins et ne peuvent donc pas faire de prescription. Leurs approches peuvent se rapprocher et / ou se compléter. Les psychanalystes ont une formation théorique et clinique mais pas obligatoirement médicale, ils doivent avoir eux-mêmes suivi une analyse avant d’exercer.

Dates

1875 : une chaire de psychiatrie est créée à Paris

1949 : création du diplôme de neuropsychiatrie

1968 : on différencie la neurologie de la psychiatrie

1984 : l’internat de psychiatrie est rattaché à l’internat de médecine