Tour d’horizon politique avec Rémi Delatte, député de la 2ecirconscription de Côte-d’Or, réélu à l’Assemblée nationale il y a un an, un mois après l’élection du Président de la République. L’occasion d’évoquer l’action d’Emmanuel Macron, le rôle du Parlement, la reconstruction de la droite… mais aussi les prochaines élections municipales à Dijon.
Dijon l’Hebdo : Le 7 mai 2017, Emmanuel Macron remportait l’élection présidentielle. Un an plus tard, a-t-il tenu ses promesses ?
Rémi Delatte : « Comme il l’avait annoncé, il a imposé un rythme rapide des réformes. On découvre un Président autoritaire, à l’opposé de ce qu’était Hollande. On le voit dans la façon avec laquelle il gère ses décisions. Son style est direct. Il va au devant des Français. C’est sur cette image qu’il s’est fait élire. Ses promesses ? Il a annoncé qu’il augmenterait la CSG : il l’a fait… Il avait dit qu’il ne toucherait pas, d’une manière générale, à la fiscalité : là, on est en plein décalage avec son engagement. Par exemple, il augmente les taxes sur les carburants… »
DLH : Sur le fond, qu’est-ce qui a vraiment changé ?
R. D : « Tout passe par lui. On avait connu ça, d’une certaine façon, avec Sarko et le Président omniprésent. Lui, c’est pire. Tout vient de l’Elysée où tout est acté et décidé. Il a déprécié le rôle du Parlement. Les ordonnances, c’est bien quand il faut aller vite… Mais il y a beaucoup de sujets où elles ne s’imposaient pas. On sent aussi la pression exercée sur le groupe des élus de la majorité En Marche. C’est du caporalisme. Vous votez ce qu’on vous demande de voter et il n’y a aucune possibilité de co-signer des amendements qui ne viendraient pas d’élus issus de La République en Marche. Ce n’est pas ce qu’on attend d’un Président de la République.
En revanche, il faut reconnaître que le tandem Président – Premier Ministre fonctionne bien. Il y a une vraie complicité et une vraie complémentarité entre Emmanuel Macron et Edouard Philippe. »
DLH : L’opposition fait peu parler d’elle. Peut-on dire qu’elle subit une forme d’anesthésie depuis que des élus de droite, comme de gauche d’ailleurs, ont franchi le Rubicon ?
R. D : « Il faut dire déjà qu’on revient de loin. L’épreuve de 2017, elle va marquer l’histoire des partis politiques traditionnels. A droite comme à gauche. Je rappelle qu’il y a 11 ans, nous étions, à l’UMP, plus de 300 députés. Cinq ans plus tard, on était 100 de moins. Et encore 100 de moins l’an passé. Il faut avoir l’humilité de reconstruire. Ca passe par un vrai travail de fond pour redéfinir un corpus d’idées.
L’opposition, malgré tout, elle existe. On a un peu tendance à la réduire au positionnement de M. Mélenchon. Mais il n’y a pas que M. Mélenchon. Il y a aussi la nouvelle gauche, les communistes et les Républicains bien sûr. Sans oublier l’extrême droite. Mais c’est compliqué d’exister face à cette majorité monolithique d’En Marche. »
DLH : Vous même, vous considérez-vous réellement comme un député d’opposition et n’êtes-vous pas tenté parfois de voter avec vos collègues d’En Marche ?
R. D : « Je suis un député libre et fidèle à mes convictions. J’ai été élu sur un projet présenté par Les Républicains et je ne trahirai donc pas mes électeurs. Mais je dois reconnaître qu’il y a des textes de loi, dans certains domaines, qui me vont bien dans la mesure où ils ressemblent à ce que l’on proposait avec François Fillon. »
DLH : Par exemple ?
R. D : « La loi de programmation militaire qui comporte des aspects tout à fait positifs pour la Défense nationale. C’est pourquoi je l’ai votée. »
DLH : L’économie française va beaucoup mieux. Etes-vous d’accord sur le fait que ces bons chiffres ne devraient rien, ou si peu, à la politique du nouveau président ? Ils viendraient de l’embellie conjoncturelle à laquelle François Hollande avait rêvé pendant tout son quinquennat…
R. D : « L’embellie économique, elle n’est pas aussi évidente que ça. Surtout si on se compare aux autres pays de la zone euro. Et là, on voit qu’on est moins bien placé. On a encore un taux d’endettement qui est beaucoup trop important. Un point d’ailleurs sur lequel Emmanuel Macron n’a pas tenu parole. Il avait dit qu’il baisserait la dette. Aujourd’hui, elle augmente… et contrairement à ce qu’il dit, il n’a pas baissé les dépenses publiques.
Pour revenir à l’embellie économique, le contexte international est porteur et nous en profitons. La vision optimiste d’Emmanuel Macron à laquelle les chefs d’entreprise ne sont pas restés insensibles, ne suffit pas. Preuve en est, les premiers chiffres de 2018 sont en retrait par rapport à l’an passé. »
DLH : Co-rapporteur de la Mission d’Évaluation et de Contrôle du financement de la rénovation urbaine mise en place par l’Assemblée Nationale, vous avez accueilli avec intérêt les propositions formulée par Jean-Louis Borloo. Emmanuel Macron qui avait pourtant sollicité Jean-Louis Borloo pour élaborer un plan pour les banlieues, a décidé de ne pas y donner suite. Comment expliquez-vous ce retournement de situation ?
R. D : « Borloo, c’est un peu le pape de la rénovation urbaine en France. C’est lui qui a mis en place l’ANRU. En le sollicitant Emmanuel Macron faisait appel à une référence. Et peut-être attendait-il autre chose qu’un simple catalogue chiffré avec, parfois, des sommes colossales ? Dans tous les cas, des idées de ce rapport ont été reprises. Et c’est bien. Pour moi, l’essentiel au fond, c’est que Jean-Louis Borloo fait prendre conscience, à tous les niveaux de la République, qu’il est urgent de se ressaisir de ce délicat dossier de la rénovation urbaine, qu’on y mette des moyens et des actions pertinentes. La simple réhabilitation ne suffit plus et on ne peut pas attendre plus longtemps. C’est bien sûr beaucoup d’argent mais ce n’est pas que de l’argent. »
DLH : La situation dans les banlieues vous inquiète-t-elle ?
R. D : « Sur certains secteurs, assurément. L’actualité le montre. J’ai vu des choses très préoccupantes dans mes missions parlementaires. Je suis allé à Marseille où il y a des îlots de non-droits. C’est purement inacceptable et la République a besoin d’être réinstallée. L’autorité du Président Macron que j’évoquais il y a un instant, sera nécessaire.
J’aime bien citer l’exemple de Nancy. Quand on y démolit trois logements sur un secteur sensible, une famille a la possibilité de se réinstaller sur le même secteur, une autre dans le périmètre de Nancy, et la troisième dans le périmètre du Grand Nancy. C’est ça la vraie mixité. »
DLH : La loi sur le cumul des mandats vous a contraint à abandonner la mairie de Saint-Apollinaire. Avec le recul, était-ce la bonne décision ?
R. D : « D’abord, j’ai toujours été contre l’interdiction du cumul. Je pense que deux mandats, c’est bien. Un local et un national. Le mandat local, il est important car il va permettre de sentir réellement le pouls du terrain. Je vois bien ce qui se passe avec les élus d’En Marche. Beaucoup n’avaient pas d’histoire politique, aucun lien même avec leurs concitoyens. Il leur est donc difficile d’exercer avec discernement le rôle de législateur. Le député Rémi Delatte s’est très souvent inspiré de ce que vivait le maire de Saint-Apollinaire. Aujourd’hui, on s’éloigne encore plus les concitoyens de leurs parlementaires. Et ce lien sera encore plus détérioré avec la réduction prochaine du nombre de députés. Si le fossé se creuse avec les électeurs, c’est qu’ils n’appréhendent pas véritablement la mission des élus.
Je reste proche de Saint-Apollinaire car je suis toujours conseiller municipal. Cela me permet d’apporter mon soutien à celui qui a été mon Premier adjoint depuis toujours, Jean-François Dodet qui préside aujourd’hui aux destinées de la commune. Il gère la ville remarquablement dans la continuité de ce qu’on a construit tous ensemble. »
DLH : Dans moins de deux ans se dérouleront les élections municipales. Votre fonction de président des Républicains en Côte-d’Or vous amènera à faire des choix, soutenir des candidats. Quel est, selon vous, celui ou celle qui aurait le plus de chance de gagner Dijon ?
R. D : « Comme député, c’est tout naturel que je m’intéresse et que je m’implique dans tout ce qui se passe sur Dijon. Je dirai simplement qu’on ne se décrète pas comme ça, tout d’un coup, leader, chef de file ou tête de liste. »
DLH : Seriez-vous prêt à contracter une alliance avec les candidats d’En Marche ?
R. D : « Dans le contexte politique, ce n’est pas envisageable. Et cette question, il faudrait plutôt la poser aux élus d’En Marche vis à vis de leurs collègues de gauche avec lesquels ils ont fait équipe, en 2014, pour constituer la majorité municipale… »
DLH : Votre nom a été cité pour conduire la liste à Dijon. C’est sérieux ?
R. D : « Encore une fois, on ne se décrète pas comme ça chef de file. Le prochain maire de Dijon sera un homme d’expérience. Il devra être créatif, suffisamment lucide pour surmonter les difficultés financières que rencontrent aujourd’hui les collectivités territoriales. On ne pourra pas augmenter indéfiniment les impôts et il faudra donc gérer autrement, aller dans le sens du bien vivre ensemble…
DLH : Comme à Saint-Apollinaire ?
R. D : (Après un long silence ponctué de sourires)« Il y en a d’autres qui partagent ces qualités… »
Propos recueillis par Jean-Louis Pierre