Pavés sous la plage : les 50… berges de Mai 68

 

Souvenirs, souvenirs, c’était le tube des années 60 de feu Johnny… On a tous en nous quelque chose de Mai 68 !  Les cinquante berges de Mai 68 et ses pavés sous la plage ont déclenché un choc neuronal chez les sociologues, les universitaires, les historiens, les ex-snipers de la chaussée parisienne, les anciennes gloires trotskistes ou maoïstes.

Depuis deux mois, l’intelligentsia parisienne et celle des grandes métropoles ne cessent de rallumer les bougies sur un gâteau d’anniversaire fourré à la déconfiture. Posons la question : de quelle nature est l’héritage ? Certes, le post-68 offre encore bien des avantages commerciaux : nos maîtres-chocolatiers, parmi les plus célèbres, viennent de créer, à prix d’or, des pavés de chocolat noir – copies conformes de ceux du Quartier Latin. Allez, tant pis ! Faites-vous vraiment plaisir, même si vous êtes fauché… Et que trouve-t-on à l’intérieur de ce croustillant et irrésistible Kinder Bueno à « la mode de chez 68 », délicieusement chocolaté au bon cœur de lait libertaire ?  En premier lieu, les manifestations des étudiants et leurs appels à la liberté, les AG dans les facs, les messes noires de l’Agitprop dans les amphis, les harangues des jeunes intellectuels, puis le bruit des classes ouvrières en lutte suivi du charivari fou, joyeux, imaginatif d’une France débridée. Le tout, sur fond sonore d’un Brel chantant Les bourgeois, c’est comme les cochons. Le grand show du chamboule-tout politique, social et économique pouvait – croyait-t-on, alors – démarrer… On y était presque !

Et vlan boum-badaboum, survient la fin mai…  Où, après un voyage éclair à Baden-Baden auprès du général Massu, De Gaulle reprend en mains une France qui semblait lui échapper. Les élections des 23 et 30 juin 68 rejetteront à la périphérie crise sociale et contestation étudiante.

Que mettre au crédit de Mai 68 ? On y gagna une liberté de ton et un côté aérien des mœurs, bien moins rock-roll en 2018. On y gagna aussi la mise-en-lumière de jeunes intellectuels tels Claude Perdriel ou Jean Daniel, qui ont animé et dirigé avec brio de grands groupes de presse nationaux, pour finir… Oui, pour finir par fossiliser leurs médias dans la pensée sclérosée « rive gauche chic ». Enfin, on y gagna une certaine décrispation – superficielle – des rapports sociaux, qui perdure encore dans le port du jean au bureau ou la liberté d’avoir ou non une cravate ! A part ça, c’est bien mince au regard de l’Histoire.

68 manquait décidément d’étoffe pour créer un ordre nouveau. Alors pourquoi aimons-nous nous raconter la légende d’un Mai 68 épique, picaresque ? Les grands photographes de presse de l’époque ont trouvé dans ce vaste chamboule-tout de quoi se hisser parmi les grands artistes de l’intemporalité : la beauté, la plasticité de leurs images, de leurs séquences filmées ont fait le tour du monde. Mai 68 devra beaucoup au talent d’un Marc Riboud et d’un Gilles Caron, d’un Romain Goupil ou d’un Philippe Gras ou encore d’un Jean-Luc Godard. Et si finalement – soyons provocateurs – c’étaient bien eux les vrais acteurs ? D’ailleurs à l’aune de l’analyse politique, remarquons combien 68 a paradoxalement favorisé la prise de pouvoir d’une néo-économie libérale, nivelant les aspirations de la société au profit des lois du marché.

Le Mai de Cohn-Bendit a beau avoir revêtu le bonnet phrygien de la Révolution, il apparaît comme un simple coup d’épée dans le courant des fleuves de l’Histoire contemporaine. Car il s’est bien vite traduit par un retour à l’ordre établi : 50 ans plus tard, l’appareil d’Etat demeure plus que jamais régalien et jacobin. Un fonctionnement plus souple de la démocratie relève – encore aujourd’hui – de l’utopie.  A quand le solde de cette autre très grosse ardoise laissée par Mai 68 qu’est le pseudo-égalitarisme confortablement logé dans bien des têtes pensantes ? Alors qu’il fonctionne comme un laminoir dans le système universitaire, et ce, au détriment la méritocratie.  Beau gâchis !

« Souvenirs, souvenirs… 68, je te retrouve dans mon cœur. Et tu ne fais pas refleurir tous mes rêves de bonheur… » nous chante toujours notre Johnny, longtemps moqué pour n’avoir pas été en fac.

Marie-France Poirier