Franc-maçonnerie – Alain Michon : « Nous sommes l’Obédience historique de la mixité »

 

Alain Michon, Grand Maître de la fédération française du Droit Humain, sera à Dijon les 25 et 26 mai prochains. Le vendredi, à 18 heures, il donnera une conférence publique à la mairie de Dijon, salle de Flore, sur le thème : « Le Droit Humain, aujourd’hui pour demain ». L’occasion aussi d’évoquer plus largement la mixité et l’égalité. Le lendemain, il présidera la cérémonie marquant le 50e anniversaire de la Loge dijonnaise Florian.

 

 

Dijon l’Hebdo : Comment est né le Droit Humain ?

Alain Michon : « On est né d’une transgression pour permettre aux femmes d’avoir la pleine initiation maçonnique. La fondation du « Droit Humain » se situe à la fin du XIXe Siècle. La société française change, et des femmes commencent, avec quelques hommes, un processus de réflexion sur la condition féminine. Le 4 avril 1893, deux esprits résolument modernes, Maria Deraismes et le docteur Georges Martin, Sénateur de Paris, scellent la fondation de la première Loge mixte Le Droit Humain. Ils décident ainsi de braver les conformismes et les préjugés, qui tenaient les femmes éloignées de la Société et de l’initiation en Franc-Maçonnerie.

La Grande Loge Symbolique Ecossaise de France « Le Droit Humain » était née et avec elle la Franc- Maçonnerie mixte ; Maria Deraismes précisa que l’heure était venue pour la femme de se grouper pour marcher à la conquête de droits égaux à ceux de l’homme et que c’est en vue de ce but à atteindre qu’elle fonda cette Grande Loge, ouverte à tous sans distinction de sexe, de race, de nationalité.

Dans le courant de l’année 1893, l’état de santé de la Sœur Maria Deraismes s’aggrava et elle disparaitra prématurément en 1894. Elle a laissé ce message : « Je vous laisse le Temple inachevé ; poursuivez entre ses Colonnes, le Droit de l’Humanité ». Le Frère Georges Martin et les Sœurs fondatrices de cette première Loge vont assurer la relève.

Aujourd’hui, la Fédération française du Droit Humain, c’est plus de 17 000 Frères et Sœurs, répartis dans 518 loges. »

 

DLH : Quelle est l’origine sociale des membres du Droit Humain ?

A. M : « L’origine sociale est à peu près la même que les autres obédiences. Il n’y a pas qu’au Droit Humain qu’on cherche comment nous pourrions nous ouvrir à des catégories sociales qui sont trop peu représentées dans nos temples. De même que les jeunes adultes ne sont pas assez présents. Ne nous voilons pas la face sur ces sujets. Nous savons très bien que nous sommes là sur un sujet difficile. Ni jeunisme ni idéalisation des représentations… Ceci dit, il faudra bien que la maçonnerie se tourne le plus possible vers d’autres milieux sociaux, vers d’autres tranches d’âge. »

 

 

DLH : Qu’est-ce qui vous différencie des autres obédiences comme le Grand Orient, la Grande Loge de France, la Grande Loge nationale de France… ?

A. M : « Nous sommes l’Obédience historique de la mixité, et cette mixité est constitutive de notre identité. Elle nous donne un regard particulier sur le travail maçonnique. Le premier article de  notre Constitution pose le socle, à savoir « l’égalité de l’homme et de la femme ». Dans la société comme dans l’initiation maçonnique. Et nous avons également une dimension internationale car cette égalité doit être valable partout. Nous sommes présents dans une cinquantaine de pays. Et pas qu’en Europe. »

 

 

DLH : Les loges du Droit humain sont mixtes. Veillez-vous à une stricte parité ?

A. M : « Non, pas du tout. C’est même une question qu’on ne se pose pas. Le rapport entre frères et sœurs est toujours le même depuis longtemps : 2/3 » de femmes. Il n’est pas question de se fixer l’objectif d’avoir 50 % d’hommes et 50 % de femmes. Ce n’est pas dans notre démarche. L’égalité de l’homme et de la femme, ce n’est pas nécessairement la parité absolue. »

 

 

DLH : L’ouverture du Grand Orient de France à la mixité peut-elle gêner le développement du Droit humain ?

A. M : « La démarche n’est pas la même. Le Grand Orient le dit lui même : il n’est pas mixte mais certaines loges peuvent l’être. Nous n’avons pas été impactés dans la mesure où le Grand Orient ne va pas chercher des sœurs dans d’autres obédiences mais d’initier directement des profanes qui souhaitent entrer dans des loges où c’est possible. Quant à nos relations, elles sont le plus fraternelles possibles avec le Grand Orient. »

 

DLH : Faire avancer concrètement la société ». C’est le credo des obédiences maçonniques. Qu’est-ce qui peut justifier l’utilité d’un franc-maçon aujourd’hui ?

A. M : « A quoi servons-nous ? A cette question posée au philosophe, Aristote répondait en substance : à rien, car la philosophie n’est pas serve, ni le philosophe. Son « utilité » est ailleurs. Nous pourrions reprendre cela à notre compte. Souvent nous affirmons que nous travaillons dans un espace réglé, ritualisé, et de ce fait dans un espace de vraie liberté. Pourtant cette idée pourrait n’être, si on n’y veille, qu’une pirouette, ou une commodité. En effet si la question de notre utilité immédiate n’est bien sûr pas la nôtre, celle de notre inscription dans l’humanité vivante se pose bien. »

 

 

DLH : Qu’est-ce qui peut justifier l’utilité d’un franc-maçon aujourd’hui ?

A. M : « C’est une immense question. Nous devons toujours porter ce rêve d’une humanité fraternelle. Nous sommes les héritiers des Lumières puisque c’est dans ce contexte qu’est apparue la franc maçonnerie en Europe ; Nous ne sommes évidemment plus dans un environnement social, politique, international… identique à celui qui prévalait il y a 300 ans. Un des grands défis de la franc maçonnerie, pas seulement du Droit humain d’ailleurs, c’est de savoir comment on peut vivre cet idéal dans le monde d’aujourd’hui. Et comment se faire entendre. C’est pour ça qu’on organise des conférences publiques pour expliquer directement qui on est, sans filtre, ce qu’on veut faire. Il faut absolument s’emparer des sujets contemporains. Le message des valeurs, d’humanisme reste la colonne vertébrale et l’objectif est de le faire entendre. Chaque franc maçon rentre en maçonnerie pour s’améliorer lui-même, pour travailler sur lui-même, sur ce qu’il est, pour progresser et ensuite aller porter cela au dehors. C’est une démarche qui peut, me semble-t-il, intéresser plein de personnes, notamment des jeunes. »

 

 

DLH : Cette volonté d’ouverture n’est-elle pas à même de malmener le fameux secret maçonnique ?

A. M : « Le secret, c’est fondamentalement celui de l’initiation. Le secret de nos rituels, chacun pourra l’approcher que ce soit sur internet ou en se rendant dans des librairies spécialisées. Ca ne changera pas grand chose à la compréhension de l’initiation maçonnique qui, elle, repose sur un vécu, sur une réflexion profonde sur un partage avec les autres dans une loge. Ce n’est pas livresque le secret maçonnique, c’est beaucoup plus profond que ça. J’aime bien parler de discrétion pour préserver cet espace et ce temps qui sont vraiment au coeur de la démarche maçonnique. On a connu des périodes compliquées pendant lesquelles la maçonnerie a été interdite. Il y a toujours un anti-maçonnisme plus ou moins rampant, y compris dans la société française. Et ça ne veut surtout pas dire qu’on se cache et qu’on ne veut pas dire qui on est. »

 

 

DLH : Quel est le message que vous souhaitez passer à celles et ceux qui assisteront, le vendredi 25 mai, à la conférence que vous donnerez à Dijon ?

A. M : « La conférence aura pour titre : La fédération française du Droit humain aujourd’hui pour demain. Il y a là quelque chose qui invite à écouter ce qu’on peut proposer comme modernité, si on peut le dire comme ça, de la franc maçonnerie aujourd’hui. On vient d’un passé, c’est évident, et les francs maçons sont très attachés à la tradition et, en même temps, il faut qu’on se tourne vers notre devenir, notre futur et voir ce que cela peut signifier dans notre monde actuel, tel qu’il est et tel qu’on aimerait qu’il soit. Il y a des enjeux qui sont très importants et ces enjeux concernent le Droit humain évidemment et plus largement l’univers maçonnique. »

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre