A interroger l’histoire des religions, monothéistes ou non, aucune n’a résisté, ne résiste ou ne résistera au passage à la violence. Voire à la barbarie. La faute à qui ? A l’instrumentalisation qu’en font les états ? A la volonté d’hégémonie géopolitique ou d’expansion théocratique de certains leaders ?...
En France, on a cru que la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État réglerait les problèmes ad vitam aeternam : laïcité sans excès, liberté de conscience et libre exercice des cultes. Un siècle plus tard, le fait religieux - par le biais de l’islam radical ou d’autres mouvements intégristes – essaie de réinvestir en France le domaine public ! Dans ce contexte, l’ouvrage Religion et Violence, publié aux éditions de L’Harmattan, prend toute sa signification et toute sa pertinence : sa lecture permet de prendre connaissance des interventions au cours d’un symposium qui s’est tenu au printemps 2016 au Centre Universitaire Catholique de Bourgogne, et dont perdure la résonance intellectuelle. Le 18 mai prochain, lors du lancement du livre, les auteurs - spécialistes, juristes, chercheurs, historiens et universitaires - y animeront une conférence-débat sur le même thème.
Le retour du fait religieux dans les affaires des Etats au 21e siècle est marqué par une brutalité inattendue. Sans oublier les interférences manifestes qui en résultent au simple niveau de la vie quotidienne : courants évangélistes aux USA, frange traditionnaliste chez certains catholiques, islam radical depuis les attentats du 11 septembre 2001, factions orthodoxes en Israël.
Cette violence n’est pas le fait des seules religions monothéistes : le sort réservé aux Rohingyas en Birmanie démontre que le bouddhisme peut se manifester avec une force meurtrière. D’emblée Pierre-Henri Lemaire, Président de l’université Catholique de Bourgogne, tient à souligner que « l’ouvrage Religion et violence réalisé sous l’égide de Daniel Bernard Faivre, grand spécialiste de la Bible, offre des clefs de compréhension sur la dualité millénaire religion/violence. Ce dernier s’en explique en ces termes : « Ces travaux cherchent d’abord à mettre l’accent sur un point fondamental : les religions, comme toutes les créations humaines, sont le reflet de leur époque. On ne pratique pas le christianisme, l’islam ou le bouddhisme de la même façon qu’il y a cinq, dix ou quinze siècles. Il importe donc de conceptualiser les textes fondateurs en les restituant dans l’époque où ils ont été réalisés, car c’est aux besoins des hommes de cette époque-là qu’ils devaient avant tout apporter des réponses ».
Ce symposium et ce livre s’inscrivent dans les perspectives de l’Institut Supérieur de formation de l’Enseignement catholique, et essentiellement l’un de ses départements : celui de la Formation initiale ou continue des enseignants du secteur privé : « Il s’agit de les aider à acquérir, de leur donner les outils pour transmettre l’enseignement d’une véritable culture scientifique, linguistique, ou juridique touchant au fait religieux », poursuit Pierre-Henri Lemaire. « Voilà pourquoi, la 2ème partie commence par une réflexion anthropologique, puis traite de l’interrogation sur l’art contemporain par Dominique Bernard Faivre, et s’achève par l’étude d’Aimé Randrian sur un Emmanuel Lévinas, dont l’œuvre est traversée par la problématique violence/religion.»
Bien évidemment, le lecteur, enseignant ou non, tirera profit de cette somme de données de premier plan et la plupart du temps inédites ! Le premier chapitre s’ouvre ainsi sur les propos tenus lors du symposium par Gérard Gobry : il s’interroge avec pertinence sur la lexicologie et les jurons concernant Dieu à l’origine, sur la transgression du divin par le verbe et les vertus cathartiques que les hommes peuvent ou non en tirer (1). Citons dans la foulée, d’autres communications émanant de cette dizaine de spécialistes dans des domaines méconnus ou inattendus : « La violence dans les mythes subsahariens par Lobna Mestaoui, ou celle très fournie sur le Dalaï-Lama par Cécile Campergue, ou encore « Islam, paix et violence » par Mohammed-Cherif Ferjani.
L’affaire des caricatures de Charlie Hebdo a changé la donne de notre paysage : le lecteur de 2018 ne manquera pas d’être fort intéressé par la réflexion de René Nouailhat sur la caricature religieuse ainsi que sur les ambivalences du rire chrétien, arabe, juif... L’ouvrage possède l’immense intérêt de permettre à notre pensée de cheminer hors des sentiers battus. Ainsi, Dominique Bernard Faivre se consacre, elle, à la trilogie « art contemporain/religion/violence », jouant avec brio de cette formule lapidaire : « (…) Nous sommes davantage au temps d’un Musée sans foi qu’au Temps des cathédrales ».
Une fois l’ouvrage refermé, une croyance persistera même chez les lecteurs libertaires, les athées ou les agnostiques: le plaisir immense d’avoir eu accès aux regards croisés de spécialistes éclairés, d’avoir pu aborder leurs études d’ordre juridique, sémantique, philosophique sur la problématique « Violence et religion ». Une dualité qui empêche le ciment fédérateur de prendre durablement dans nos sociétés, à l’orée du troisième millénaire.
Marie-France Poirier