MEDEF Côte-d’Or – Pierre-Antoine Kern : la satisfaction du devoir accompli

 

Le 3 mai prochain, Pierre-Antoine Kern quittera la présidence du MEDEF Côte-d’Or. L’occasion de faire le point sur six années de gouvernance. Passé, présent, avenir…

 

Dijon l’Hebdo : A la veille de quitter la présidence du MEDEF de Côte-d’Or, quel est votre sentiment qui prédomine ?

Pierre-Antoine Kern : « Le sentiment d’avoir occupé considérablement mon temps durant ces six années de mandat et d’avoir accompli, dans l’ensemble, les objectifs que je m’étais fixés à savoir doubler le nombre d’adhérents directs, apaiser et améliorer les relations avec nos confrères de la CPME, réinvestir le tribunal de commerce au sein duquel nous n’avions plus qu’un seul juge sur les 28, apporter un certain nombre de services à nos adhérents en matière de droit social et de droit des affaires. »

 

 

DLH : Vos six années de gouvernance ont été marquées par davantage de services pour les entreprises adhérentes mais aussi et surtout votre volonté d’ouvrir encore plus le MEDEF sur la société et de l’engager pleinement dans le débat d’idées… Quelles sont les actions que vous avez jugées les plus pertinentes ?

P-A. K : « C’est très difficile à mesurer. Je crois que c’est surtout l’information qu’on donne partout où on passe, dans tous les milieux où l’on peut aller, sur la véritable santé de l’économie française. Il faut bien constater que nos concitoyens ont assez peu de culture sur le plan économique. Il convient donc de rappeler régulièrement un certain nombre de fondamentaux. Par exemple, qu’on ne peut pas vivre à crédit en permanence ni être toujours en déficit… Si on veut un système social satisfaisant, il faut que l’économie fonctionne bien. Et si on charge trop la mule, elle va vite se fatiguer…

Je pense aussi avoir été très actif pour rapprocher le monde de l’entreprise et le monde de l’enseignement supérieur. Alain Bonnin nous a d’ailleurs ouvert le conseil d’administration de l’université et nous avons également beaucoup collaboré dans le cadre de l’université d’été du MEDEF. Et là, juste avant de quitter la présidence, j’ai obtenu la création, au sein du MEDEF Côte-d’Or, de deux postes d’administrateurs -en tant que membres associés- pour l’Université de Bourgogne et BSB. Je continuerai à oeuvrer à ce rapprochement de l’entreprise avec l’enseignement général, et plus particulièrement avec l’enseignement supérieur ».

 

« J’ai obtenu la création, au sein du MEDEF Côte-d’Or, de deux postes d’administrateurs -en tant que membres associés- pour l’Université de Bourgogne et BSB »

 

DLH : Si vous deviez retenir un bon souvenir, quel serait-il ?

P-A. K : « Il y en a beaucoup mais il y en a cependant un qui me revient immédiatement et qui m’a procuré une certaine fierté : trois mois après avoir été élu président du MEDEF Côte-d’Or, j’étais invité par le MEDEF national à participer aux négociations sur l’accord national interprofessionnel 2013. Je faisais partie d’une commission qui était en relation avec la commission qui, elle, négociait. Il y avait des allers-retours permanents et on donnait notre sentiment sur ce qu’il fallait faire ou ne pas faire, les points sur lesquels on pouvait lâcher, les autres sur lesquels il ne fallait rien céder… J’ai suggéré qu’on réduise, en matière de droit du travail, la durée de prescription de 5 ans à 1 an. Finalement, c’est l’option 2 ans -et 3 ans sur les salaires- qui a été retenue. C’est sans doute le point qui était le plus difficile à négocier, m’avait confié le secrétaire général du MEDEF de l’époque. Et c’est moi qui l’avait demandé et insisté pour qu’on le maintienne. Il a été obtenu pour le bénéfice de nombreuses PME – TPE qui se trouvaient très souvent ennuyées devant les prud’hommes sur des demandes très tardives de paiement d’heures supplémentaires. Mon expérience de conseiller prudhommal m’a bien servi, démontrant, au passage, qu’il faut exercer différents mandats avant de prendre la tête d’une organisation comme le MEDEF. »

 

DLH : Avez-vous des regrets ?

P-A. K : « Des regrets ? J’en ai deux. La Bourgogne Franche-Comté et la difficulté d’échanger avec les politiques. Non pas que ce soient des gens pas fréquentables mais parce que nous n’avons pas la même notion du temps. Beaucoup d’actions en matière économique s’inscrivent dans le temps long. Ce qui cadrent difficilement avec le temps que perçoivent les élus qui, eux, sont dans le court et moyen terme en fonction des échéances électorales. Difficile donc de faire passer nos idées.

Les sujets qu’on veut aborder et les solutions qu’on préconise font face à une forme d’indifférence voire même de manque d’intérêt. »

 

Quand vous parlez de Bourgogne Franche-Comté, vous pensez à la collectivité ?

P-A. K : « Je fais d’abord référence à la fusion des région qui, à mon avis, relève culturellement d’une mission quasi impossible. Il y a trop de différences sur la façon d’envisager les dialogues, les négociations. On a rencontré des difficultés dans toutes les institutions, et ça continue. Il faudra beaucoup de temps à s’apaiser et je pense que d’ici-là la région n’existera plus. C’est une des dernières régions de France en matière de PIB par habitant, celle qui progresse le moins en matière de PIB par habitant. On annonce une progression de l’emploi des cadres de 3 % alors qu’elle est de 25 % au niveau national. Et on est en plein emploi car il y a un taux de chômage des cadres qui est de l’ordre de 3 % également. Ca veut dire que c’est une région qui n’avance plus sur le plan économique. C’est grave. Et c’est encore plus grave quand on voit, encore aujourd’hui, les hésitations sur la marche à suivre. Ca fait plus de deux ans que le conseil régional est en place et, honnêtement, aujourd’hui, je ne vois rien. Si le dialogue existait auparavant avec les élus du conseil régional de Bourgogne, on n’a pas ce sentiment aujourd’hui. On part de très loin et je pense qu’on a perdu plus de deux ans… »

 

Comment voyez-vous évoluer le MEDEF en Côte-d’Or ces prochaines années ?

P-A. K : « Je laisse un MEDEF qui est en situation saine financièrement. Globalement, il y a plus de trésorerie à ma sortie de mandat qu’à mon entrée, et c’est une bonne chose. Ce sont donc des moyens à la disposition de mon successeur. Puisque maintenant je sais que c’est un successeur. Il n’y a qu’un seul candidat en la personne de David Butet qui est le patron de Stratégic Event et d’un ensemble de sociétés. C’est un chef d’entreprise très dynamique qui va apporter beaucoup de choses au MEDEF. Je le sens très aiguisé et très volontaire pour développer le MEDEF. »

 

Vous avez contribué à l’apaisement des relations conflictuelles entre le MEDEF et la CPME (ex CGPME) pour partager les sièges de différents organismes. Est-ce à dire que le MEDEF serait aujourd’hui prêt à revendiquer des présidences, comme celle de la CCI 21, qui lui ont échappé depuis bien des années ?

P-A. K : « A propos de la CCI, il faut savoir que quand Patrick Laforet a démissionné , il a proposé la présidence à son premier vice-président qui était MEDEF d’assurer sa succession. Ce qui n’a pas été le cas pour des raisons exclusivement professionnelles et respectables dans la mesure où notre représentant était mobilisé sur ses projets personnels. J’ai ensuite accepté la candidature de Xavier Mirepoix. Au-delà de l’alternance qu’on s’efforcera d’organiser, on s’efforcera surtout de désigner, dans les différents mandats, les personnes les plus qualifiées et les plus adaptées à l’instant T. par contre, ce que j’attends des présidents des différentes institutions, qu’ils soient MEDEF, CPME ou autre, c’est de moins revendiquer leur appartenance syndicale car ils sont présidents de tous et ils ont une obligation morale de neutralité. Il y a des vieilles habitudes qu’il faut abandonner… C’est sans doute comme cela qu’on pourra aller encore plus loin dans l’entente patronale. »

 

DLH : Hasard du calendrier, votre président national, Pierre Gattaz, quittera officiellement ses fonctions en juillet prochain. Neuf candidats ont postulé pour sa succession. N’est-ce pas le signe de divisions et de tensions que traverse votre organisation ?

P-A. K : « Non. Il faut plutôt y voir le signe de l’attirance que ce poste de président du MEDEF peut générer sur un certain nombre de personnes. Pour connaître un certain nombre des postulants de manière proche, ce ne sont pas des vraies candidatures. Ils se positionnent pour la suite, pour être dans l’équipe rapprochée. Je ne doute pas qu’ils se rallieront au meilleur candidat le moment venu. En attendant, il peut être aussi de s’intéresser à leur positionnement sur des points comme le paritarisme, la relation avec les pouvoirs publics… Je pense qu’il y a chez tous les candidats une réelle volonté de réduire le champ du paritarisme dans lequel on dépense énormément de moyens – je parle du MEDEF – en terme de mandats qui mobilise bon nombre de chefs d’entreprise. Il faut réduire ce champ, simplifier les choses. »

 

« David Buttet, mon successeur, est un chef d’entreprise très dynamique qui va apporter beaucoup de choses au MEDEF »

 

DLH : Quel est selon vous le meilleur profil ?

P-A. K : « Je pense que Geoffroy Roux de Bézieux est un candidat tout à fait remarquable. D’abord parce qu’il aurait pu contester Pierre Gattaz lors de la dernière élection à la présidence. Il était très bien placé. Il a voulu l’apaisement en ralliant Pierre Gattaz qui l’a nommé premier vice-président. Il s’est occupé notamment de tous les sujets fiscaux et économiques de manière très brillante. C’est un homme qui vient du service. Et c’est bien d’alterner l’industrie et le service qui occupe une part importante dans le PIB en France. Je rappelle que l’industrie, que je respecte tout à fait, c’est 12 % du PIB et qu’il est important de ne pas oublier les 88 % restants.

Je souhaite l’élection de Geoffroy Roux de Bézieux. Je suis en relation avec lui. Il m’a demandé de co-signer une tribune avec lui sur le numérique dans les territoires.

 

DLH : Pierre Gattaz aura été un bon président ?

P-A. K : « Oui, indiscutablement. Il a fait le job. Il a été élu à un moment où les pouvoirs publics n’étaient pas très favorables à l’entreprise. Il y avait beaucoup de décisions qui n’allaient pas dans leur sens. »

 

DLH : Vous faites référence au mandat de François Hollande ?

P-A. K : « Du quinquennat de François Hollande, je retiendrai surtout le CICE qui a été une bonne chose. Pour le reste, la pénibilité qui fort heureusement été abandonnée, l’obligation d’informer les salariés pour les transmissions d’entreprises… auront été, entre autres, contraires aux intérêts des entreprises et avant tout motivées par une vision dogmatique. Pierre Gattaz s’est donc inscrit dans un MEDEF de combat. Maintenant, on peut envisager un MEDEF beaucoup plus disposé au dialogue. »

 

 

DLH : Un des neuf candidats explique que le MEDEF doit se réinventer sous peine de disparaître. Partagez-vous ce propos très alarmiste ?

P-A. K : « C’est une bêtise. En règle générale, ceux qui lancent ce genre de prophéties sont des gens qu’on n’a jamais vu au MEDEF et qui disent n’importe quoi sur le sujet. Le MEDEF est une machine compliquée. A la base, c’est un syndicat interprofessionnel de grandes branches comme la métallurgie, le bâtiment, les travaux publics, la banque, l’assurance… Tout le monde n’a pas les mêmes intérêts et, parfois, il y a des discussions pour le moins enlevées entre les 45 membres qui composent le conseil exécutif. Et vous noterez que toutes les avancées au niveau des entreprises sont souvent le fruit du travail du MEDEF. »

 

DLH : Quel regard portez-vous sur Emmanuel Macron et sa politique en direction de l’économie et des entreprises ?

P-A. K : « Il y a des décisions qui ne conviennent pas aux entreprises comme la transformation du CICE en baisse de charge avec un effet fiscal qui n’est pas favorable fait qu’on va perdre quasiment 40 % du bénéfice du CICE. Le prélèvement à la source ne nous convient pas non plus. Ca rajoute de la complexité et une charge supplémentaire à l’entreprise. On va avoir à gérer le taux d’imposition de nos salariés, ce qui est quand même un peu délicat dans la mesure où on n’a pas à le connaître. On va se retrouver, dans bon nombre d’entreprises, avec des salariés occupant les mêmes fonctions, avec éventuellement la même ancienneté et qui ne vont pas toucher le même net. Cependant, quand on observe que c’est pratiqué dans la plupart des pays européens, on peut se demander pourquoi cela pose autant de problèmes en France. La réponse est simple : les chefs d’entreprise ont beaucoup plus d’obligations que leurs collègues européens. Et quand on en rajoute une supplémentaire, on a tendance à très mal réagir. Simplifions déjà la législation et nous accepterons volontiers ce qui va dans le sens d’une harmonisation européenne.

Mais quand je regarde le tableau général, je me dis qu’on ne peut pas tout avoir et qu’il faut accepter des choses moins bénéfiques. On a tous, plus ou moins, cette réflexion qui consiste à dire « pour une fois qu’on a un Président brillant qui a une vraie volonté de réforme, on peut accepter des situations qui ne nous conviennent pas forcément.

Emmanuel Macron a beaucoup de choses à faire et des choses pas faciles à faire. Il a l’intention de réformer ce pays qui ne l’a pas été depuis plus de 30 ans. Il faut donc rattraper le temps perdu et il faut le faire au pas de charge. J’observe qu’il est en train de faire changer les lignes et d’avancer sur des sujets fondamentaux comme le droit du travail, l’autonomie des universités, la volonté de formation dans des domaines où il y a de vrais besoins. Et puis, beaucoup constatent qu’il a une vraie proximité avec le monde de l’entreprise. »

 

 

Concernant le dossier des retraites, le MEDEF se dit favorable à un départ plus tardif que l’âge légal actuel. Iriez-vous jusqu ‘à proposer une forte décote pour inciter les salariés à partir plus tard ?

P-A. K : « Ce sont des sujets délicats et je ne sais pas les pistes qui ont été retenues. Nous sommes face à un problème mathématique. On vit dans un système où les actifs payent pour les inactifs. Les gens qui travaillent payent pour les retraités. Quand on cotise, on ne paie pas pour sa retraite. On paie pour ceux qui sont en retraite. Il faut donc que le système ne soit pas injuste pour ceux qui travaillent et qui cotisent. Sinon, ça revient à dire qu’on exploite nos enfants. S’il faut faire des efforts sur des départs plus tardifs, je ne pense pas que cela soit insurmontable. Il n’y a pas cinquante solutions. En Allemagne, l’âge légale est à 65 ans et il est même envisagé d’aller jusqu’à 70… Outre-Rhin, c’est d’abord une situation liée au problème de la natalité. »

 

Sur la gouvernance de l’assurance-chômage, c’est aussi le grand flou. Faut-il rester ? Continuer à gérer avec les syndicats et l’Etat ? Ou bien laisser les pouvoirs publics se débrouiller seuls ?

P-A. K : « Mon sentiment, c’est que si les syndicats de salariés ne savent pas remettre en cause le système actuel qui n’incitent pas certains demandeurs d’emploi à chercher et à prendre des postes qui se présentent, il faut à l’évidence changer de gouvernance. Le MEDEF ne peut pas faire tout seul. Il faut impérativement trouver des accords mais si on ne peut pas les trouver, je suis assez partisan que l’État reprenne la main et crée de nouvelles règles qui soient beaucoup plus incitatives à la reprise du travail. »

 

Pierre Gattaz demande au gouvernement un moratoire d’un an pour la mise en place du prélèvement de l’impôt à la source. Etes-vous toujours aussi hostile à cette mesure ?
P-A. K : « Ca rajoute de la complexité et une charge supplémentaire à l’entreprise. On va avoir à gérer le taux d’imposition de nos salariés, ce qui est quand même un peu délicat dans la mesure où on n’a pas à le connaître. On va se retrouver, dans bon nombre d’entreprises, avec des salariés occupant les mêmes fonctions, avec éventuellement la même ancienneté et qui ne vont pas toucher le même net. Cependant, quand on observe que c’est pratiqué dans la plupart des pays européens, on peut se demander pourquoi cela pose autant de problèmes en France. La réponse est simple : les chefs d’entreprise ont beaucoup plus d’obligations que leurs collègues européens. Et quand on en rajoute une supplémentaire, on a tendance à très mal réagir. Simplifions déjà la législation et nous accepterons volontiers ce qui va dans le sens d’une harmonisation européenne. »

 

 

Que va devenir Pierre-Antoine Kern après sa descente de charge ?
P-A. K : « Il va s’occuper de lui. Prendre du temps pour lui et apprendre à jouer du violoncelle. C’est un instrument qui me fascine avec un son que j’aime, qui, paraît-il, se rapproche le plus de la voix humaine. Et puis, retrouver du temps pour mon entreprise… »

 

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre