D’Europe, il fut évidemment question aux dernières Internationales. Et même si elles n’étaient pas inscrites, noir sur blanc, au coeur des débats, elle s’est imposée comme fil rouge dans bien des discussions. Expert en la matière, l’ancien député européen Pierre Pribetich apporte quelques précieux éclairages.
Dijon l’Hebdo : En 1950, l’Europe était une réponse à la peur de l’empire soviétique. N’avez-vous pas l’impression qu’aujourd’hui elle doit faire face à la somme de toutes les peurs ?
Pierre Pribetich : « Peut-être pas la somme de toutes les peurs… Il convient de rappeler que l’Europe a été faite pour répondre à la peur inspirée par l’Union soviétique mais surtout pour apporter la paix. Et pour essayer de se situer dans un espace où la paix serait présente durant plusieurs décennies. Ce qui a été réussi.
La peur, elle est aujourd’hui d’abord liée aux phénomènes de migration. Avec cette incapacité, pour l’Europe, de traiter cette situation qui constitue un point de fixation. Peur d’être envahi, peur de la crise économique, peur d’un affaissement culturel… Et on a l’impression que ce problème qui a détricoté l’Europe et qui a engendré un certain nombre de craintes et d’inquiétudes, est en train de se poursuivre en amalgamant toutes les peurs. Et du coup, tout ce qui ne fonctionne pas, on le met sur le dos de l’Europe. »
DLH : 60 ans après la signature du Traité de Rome, l’Europe est confrontée à de nombreux défis : Brexit, crises migratoire, financière, économique, sécuritaire… Comment l’Europe peut-elle répondre et retrouver l’adhésion de ses citoyens ?
P. P : « Elle le peut dans la mesure où la réunion des 27 pays de l’Union européenne devrait permettre de lancer de grandes politiques pour engendrer du développement économique, industriel, de la croissance à condition de ne pas s’enfermer dans des règlementations abusives ou tatillones. L’Europe doit retrouver le fondement de sa démarche d’unification, être capable de se concentrer sur l’essentiel, souvent le simple bon sens. »
DLH : N’y a-t-il pas une course de vitesse qui s’est s’engagée entre le projet de tous ceux qui luttent pour une Europe sociale et solidaire et celui de ceux qui veulent construire l’Europe des nationalismes ?
P. P : « L’Europe des nationalismes, pour reprendre la formule de François Mitterrand, c’est la guerre. Et c’est vraiment contraire à ce qui a fondé l’Europe, c’est à dire la volonté d’être dans un espace de paix. Dans cette course effrénée, il faut à tout prix que ceux qui promeuvent une Europe sociale et solidaire, dont je fais partie, puissent la gagner. Avec une volonté aussi, sans doute, de refonder l’Europe sur d’autres démarches, en essayant de surseoir aux difficultés de fonctionnement qui sont réelles de cette union à 27. »
DLH : Ne faudrait-il pas dès lors revoir certaines politiques qui sont considérées de longue date comme des piliers de l’Europe ?
P. P : « Quand on regarde le budget annuel de l’Union européenne, c’est 160 milliards d’euros. C’est un budget nettement insuffisant si on le compare à celui des Etats-Unis. La PAC -politique agricole commune- représente, à elle seule, 58 milliards d’euros et la politique de cohésion, 53 milliards… La recherche et l’innovation, seulement 6 milliards. Mobilité, transports, 4 milliards d’euros… Le budget de l’Europe manque de ressources propres pour impulser de grandes politiques et d’en accentuer d’autres qui nécessiteraient d’avoir des niveaux d’investissements à la hauteur de l’ambition européenne. Tout le problème, c’est de savoir comment augmenter ce budget dans un tel climat de défiance, de repli sur soi, avec des gouvernements qui ne pensent qu’à recevoir l’argent qu’ils y ont mis. On n’est plus dans une logique de soutien à une démarche collective mais dans une logique de versements avec l’espoir du « money is back » dans les territoires. »
DLH : Comment analysez-vous ce sentiment de rejet européen ?
P. P : « On a oublié que quand on a créé l’élargissement, notamment à l’Europe de l’Est, on voulait revenir à l’unité mise à mal par la Seconde guerre mondiale et faire tomber ce rideau de fer qui avait séparé l’Europe en deux. Cet élargissement n’a pas été totalement maîtrisé avec des pays qui n’étaient pas forcément en capacité de rattraper leur retard. C’est un sentiment de fuite en avant qui a prévalu et prospéré au bénéfice des nouveaux entrants. « Le plombier polonais » en a été l’illustration. Sentiment qui s’est aggravé ensuite avec l’élargissement à d’autres pays qui étaient très loin de la norme européenne. Nos concitoyens ont eu l’impression, en certaines circonstances qui leur étaient défavorables, qu’on préférait aider les autres plutôt que d’assumer des solidarités.
La classe politique a porté une responsabilité en désignant l’Europe comme responsable de tous les maux et la montée du populisme traduit parfaitement cette situation. »
DLH : Le Brexit a créé une situation nouvelle. La sortie de l’un des pays membres de l’Union européenne (UE) n’est-elle pas une involution du processus européen, une sorte de dé-création, un début d’éclatement ?
P. P : « Au contraire, je considère que le Brexit est une clarification qui doit nous permettre de sortir d’un certain nombre d’ambiguïtés. D’abord, la gouvernance de l’Union européenne qui est trop complexe avec ce fameux triangle institutionnel entre le Parlement, la Commission et le Conseil. D’où la nécessité d’avoir une clarification au niveau des responsabilités entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Donc, séparation des pouvoirs pour reprendre la formule de Montesquieu. Le fonctionnement actuel de l’Europe est d’une complexité absolue, incompréhensible pour la plupart de nos concitoyens. On doit utiliser le Brexit pour proposer une refondation de l’Europe avec la nécessité, vous l’avez compris, de clarifier les institutions, les responsabilités, les règles de gouvernance et notamment cette règle du blocage qui favorise le surplace au détriment de la progression. Une grande partie est à repenser même si l’Europe fonctionne et apporte beaucoup de choses. Il faut donner ce sentiment que la responsabilité politique est assumée.
DLH : Le Brexit est donc une opportunité pour réunir les Européens ?
P. P : « C’est une opportunité pour réunir les Européens à condition d’être conscient qu’il faut un budget à la hauteur de l’ambition, une simplification du rôle de l’Europe permettant un développement économique et des solidarités. »
DLH : L’Europe n’aurait-elle pas besoin d’un nouvel acte fondateur ?
P. P : « C’est le moment. Dans la complexité juridique et financière, l’Europe sera jugée aussi à sa capacité de gérer, non pas à son détriment mais à son avantage, le Brexit. Les Britanniques ne peuvent pas être un pied dedans et un pied dehors. Soyons ferme et respectueux. »
DLH : L’Europe est dans le quotidien de tous. Concrètement, dans la Métropole dijonnaise, l’Europe c’est quoi ?
P. P : « L’Europe, elle fait partie de notre quotidien. Ce sont, par exemple, des fonds européens qui ont participé à la création de ce qui constitue la restauration scolaire municipale. L’Europe, elle est présente dans des immeubles qui sont réhabilités avec des hauts labels énergétiques. Présente un peu partout, mais pas souvent mentionnée. Elle a eu cette faiblesse de se dessaisir de sa communication au profit des pays. Elle aurait du imposer des règles comme c’est le cas en Espagne où, par exemple, sur la réalisation d’autoroutes ou d’infrastructures, elle fait apparaître clairement sa contribution. A Dijon, le maire ne manque jamais une occasion pour mentionner le rôle ou le soutien européen ».
DLH : Ne faudrait-il pas revoir le mode de scrutin législatif pour éviter d’envoyer au Parlement européen des leaders nationaux qui n’ont rien à y faire ? Comment faire en sorte que le député européen ait un visage plus local ?
P. P : « C’est une réelle difficulté. J’ai eu le bonheur et l’honneur d’être parlementaire européen sur la circonscription Grand Est de l’époque. J’avais bien senti cette nécessité de se rapprocher des territoires et c’est pourquoi je m’étais attribué le titre de « député européen de la Bourgogne – Franche-Comté ». Et c’est sur ce territoire précisément que je suis allé rendre compte régulièrement de mon action de député européen. En modifiant le prochain mode de désignation pour revenir à une liste nationale, le gouvernement a choisi l’effet inverse, c’est à dire d’éloigner les parlementaires des territoires. Ce n’est pas la meilleure des choses. »
Propos recueillis par Jean-Louis Pierre