Jet d’Encre N° 104 : È pericoloso sporgersi

 

Aristote, philosophe s’il en fut, nous a laissé une Rhétorique traitant de l’art oratoire, c’est-à-dire « de l’apprentissage de la capacité de discerner dans chaque cas ce qui est potentiellement persuasif ». Cet art s’appuie toujours sur des preuves ; pour admettre une preuve comme vraie, il faut nécessairement une démonstration préalable : «  La prime charbon, dite prime escarbille, n’a plus de raison d’être depuis 1974 puisque les locomotives à vapeur ont disparu cette année-là. » Le maître nous explique au fil de son propos que l’argument est le premier outil de l’orateur, qu’il en existe des vrais, qu’il en existe des moins vrais, mais, cher lecteur, à toi de te faire une idée :
– le syllogisme est la locomotive de la déduction : « Ce train est français, or les trains français arrivent à l’heure, donc ce train arrive à l’heure. »
– la question rhétorique induit une réponse manifestant l’assentiment du destinataire : « Quand on parle de transports ferroviaires, la SNCF n’est-elle pas ce qu’il y a de mieux ? »
– la prétérition permet de dire un énoncé en prétendant le taire : « Je ne vous parlerai pas des pannes à répétition en gare Montparnasse ou en gare Saint-Lazare. »
– le seul recours absout d’une faute quelqu’un qui n’a pu éviter de la commettre : «  Entre le gouvernement et les cheminots existe un conflit. Dans cette bataille du rail, la grève est la seule arme dont disposent les cheminots. C’est une arme terrible pour des millions d’usagers, mais les cheminots opprimés n’en n’ont pas d’autre.»
– la justice ou argument « a pari » est un refus de la partialité qui conduit à expliquer qu’une même catégorie de faits doit être traitée de la même façon : «  Si les roulants de la SNCF ont droit à la retraite à 52 ans, les conducteurs de bus, les routiers sympas, les chauffeurs de taxis, les cochers et les parents qui conduisent leurs enfants à l’école ont droit aussi à la retraite à 52 ans. »
– sous forme d’un récit précis, la narration évoque parfois des faits qui parlent d’eux-mêmes et on te laisse, cher lecteur, le soin de conclure : « Le combat des cheminots « chibanis », entamé il y a près de quinze ans, a finalement payé. Lundi 21 septembre, la SNCF a été condamnée pour discrimination envers près de 800 employés de nationalité ou d’origine marocaine – dits « chibanis » (cheveux blancs, en arabe) – qui estimaient avoir été bloqués dans leur carrière et lésés à la retraite. Selon le jugement, la compagnie ferroviaire est effectivement condamnée pour « discrimination dans l’exécution du contrat de travail » et « dans les droits à la retraite ». (Le Monde/29 septembre 2015)
– la relativité fallacieuse permet de rejeter un argument parce que l’on croit que la vérité est relative à une personne ou à un groupe : « La gratuité des trains, disait ce cheminot, nous n’en profitons pas, ni moi, ni ma famille car nous ne nous déplaçons qu’en voiture. »
– la pente savonneuse nous fait croire qu’un changement conduira inévitablement à un train d’événements négatifs : « L’ouverture à la concurrence en France ouvrira la voie aux mêmes catastrophes qu’en Grande-Bretagne. »
– enfin le foutage de gueule nous prend, toi et moi, pour des débiles profonds : « La dette de la SNCF sera payée soit par l’État, soit par les contribuables, soit par les usagers… »
Alors, cher lecteur, prends bien garde : un argument peut en cacher un autre car les cheminots ne se battent pas pour eux, mais pour les voyageurs !

Alceste