» Sous Influence « 

 

Thriller psychologique anglais de Jessica Hobbs d’après le roman de Louise Doughty, Portrait d’une femme sous influence.

 

Difficile d’écrire sur des sorties décevantes ou trop attendues, après le choix pertinent des académies des Oscars et des César de récompenser des films militants et audacieux, que nous avions d’ailleurs défendus, comme La forme de l’eau, Three Billboards, Une femme fantastique, Au revoir là-haut et 120 battements par minute. Impossible donc cette semaine de chroniquer Madame Mills, une voisine si parfaite, le dernier film de Sophie Marceau, même si mon cœur fait Boum à chaque nouvelle apparition de notre Marianne sexy et ex-James Bond girl.  Acrobatique également d’écrire quelques mots sur Tout le monde debout le premier long-métrage de Franck Dubosc, un comique écorché vif qui vaut bien mieux que le souvenir de son dernier camping sauvage. Et pas de nouvelles non plus de la Ch’tite famille dans nos colonnes même si tout va bien au box-office, ni de la nouvelle Eva pourtant (dés)incarnée par la toujours talentueuse Isabelle Huppert.

La ch’tite perle rare de mars est sortie tout droit du petit écran de nos lucarnes de plus en plus nombreuses, avec l’adaptation du best-seller de Louise Doughty, Portrait d’une femme sous influence : « une critique féministe de la justice criminelle sous forme de thriller », série disponible sur Arte VOD, et dès le mois d’avril en vidéo. L’occasion trop rare de rendre ici hommage à l’actrice britannique Emily Watson, inoubliable révélation de Breaking the waves du réalisateur danois Lars von trier, avec son personnage de Bess, femme sacrifiée sur l’autel de l’amour impossible.

Dans Sous influence, Emily Watson transcende son rôle de femme adultère violée, filmée avec beaucoup de justesse et d’intelligence, et autant de pudeur que de brutalité, par la réalisatrice Jessica Hobbs. La série raconte l’histoire d’Yvonne une scientifique londonienne d’âge mûr qui met en danger son existence bien rangée pour une liaison sulfureuse avec un inconnu (l’énigmatique Ben Chaplin).  En couple depuis trente ans avec l’universitaire Mark Bonnar (l’impeccable Gary Carmichael) et bientôt grand-mère, elle redécouvre le désir dans les bras de ce mystérieux haut fonctionnaire rencontré dans les couloirs du Parlement. Mais Yvonne est sauvagement violée après une soirée arrosée par un collègue ayant suspecté son adultère. Elle est alors prise dans un engrenage infernal qui l’amène bientôt à devoir se défendre devant un tribunal.

Dans un geste féministe courageux, la réalisatrice Jessica Hobbs a voulu montrer « pourquoi il est si difficile pour les femmes de parler des agressions sexuelles et le prix qu’elles payent quand elles décident de le faire. A la violence de l’agression s’ajoute celle d’être livrée en pâture à une opinion publique pas toujours tendre avec les victimes, lesquelles sont parfois sommées de se justifier. »

Si Sous influence commence comme une romance à l’eau de rose (épines comprises), la série se mue peu à peu en un thriller irrespirable, après l’imprévisible scène de viol, filmée avec crudité et dureté, mais sans complaisance ni voyeurisme par Jessica Hobbs. Le film dénonce la misogynie institutionnelle du système judiciaire britannique dans une fiction d’une belle complexité narrative et ambigüité morale, servie par un excellent travail de mise en scène et de photographie, avec une question centrale : comment la justice peut-elle faire d’une victime de viol une suspecte ?

Tous les personnages (hormis le violeur) sont complexes, équivoques et déroutants, terriblement humains, le spectateur en venant même à se demander qui est réellement sous influence ? Est-ce Yvonne ? Un des deux Mark (le mari et l’amant ont le même prénom) ? La justice trop moralisatrice avec les femmes libérées, surtout lorsqu’elles ont cinquante ans ? Ou peut-être nous, lectrice ou lecteur, spectatrice ou spectateur, embarqué(e) par le flot des mots, des images et des questions qui nous taraudent et nous tourmentent. La dernière scène est à l’image de Sous influence : troublante et exceptionnelle.

Raphaël Moretto

 

 

Portrait d’une femme sous influence de Louise Doughty, chez Points : 8,10 €.

Sous influence (Apple tree yards) sur Arte VOD ou chez Koba Film : 19,99€ à partir du 11 avril 2018.