Quand un sociologue déballe les cadeaux de Noël

 

L’Évangile de Saint Matthieu raconte que des mages venus d’orient ont été guidés par une étoile vers l’enfant-Jésus qui venait de naître. « Ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent de l’or, de l’encens et de la myrrhe’’. Aujourd’hui, le sens du mot « cadeau » ou « présent » » de Noël est synonyme de divertissement ainsi que de fête. Mais a-t-il gardé toute la saveur d’une surprise, toute la symbolique du don, de l’échange ? Une journée au SPA  à se faire chouchouter ou encore un aspirateur dernier cri au pied du sapin, n’est-ce pas la négation d’une certaine féérie ?

Pascal Lardellier, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Bourgogne, par ailleurs chroniqueur pour de nombreux médias TV ou radio, auteur d’ouvrages sociologiques qui font référence, anime des conférences ou propose des analyses d’inspiration anthropologique. Peut-on aujourd’hui s’abstenir de tout cadeau pour Noël ? Réponse de Pascal Lardellier : « Absolument pas ! Rien ne serait plus scandaleux, plus incongru… Offrir constitue toujours un rite à part entière. C’est le signe d’une générosité. Reste que le cadeau revêt d’autres significations : il fait sens dans la mesure où il est porteur de loisirs, ou répond à une utilité. Ainsi une tablette numérique charriera aux yeux des adultes qui l’offrent à des enfants des motivations bien diverses : pour les uns, elle sera synonyme de jeux, au contraire pour les autres elle constituera l’opportunité des programmes  éducatifs ou pédagogiques, susceptibles d’étayer le parcours scolaire d’adolescents. A travers le cadeau, les parents marquent ainsi leur appartenance à telle ou telle classe sociale. Mais de façon générale, offrir des objets numériques, c’est aussi à leurs yeux exprimer une adhésion  à la modernité…»

 

Le cadeau est un marqueur social

Ose-t-on encore faire présent d’une poupée Barbie en cette fin d’année 2017, où les mouvements antisexistes – dont le combat pour la grammaire inclusive – enflamment les esprits, et entendent faire bouger les lignes de la société ? Bref est-on pris en otage, jusqu’à se montrer audacieux en offrant quelque chose de « rose » à une enfant, notamment dans les sphères dites « éclairées » de la société ? Pascal Lardellier estime qu’« il est devenu difficile de le faire sans devoir de se justifier dans certains milieux intellectuels, alors  qu’on touche pourtant, là, au domaine de la féerie. Le cadeau est un marqueur social. Pour certains parents donner à Noël un jouet en bois, fabriqué artisanalement, c’est inciter leurs enfants à l’éveil d’une conscience environnementale.» Quant à l’incontournable calendrier de l’Avant de l’Avent, il est en cette fin 2017 très « tendance » et au … parfum : ses fenêtres peuvent s’ouvrir sur des fromages du Nord et du Pas-de-Calais, tout comme sur des parfums, des thés/cafés, des bougies, des bonbons, des chocolats etc. Pascal Lardellier y voit là la conjonction de deux planètes – celle du business et celle d’une très lointaine tradition liturgique : « Tout fait farine au moulin du marketing! », glisse-t-il.

 

« Aujourd’hui, on veut ! »

Il ne manquera pas non plus d’établir un constat d’ordre anthropologique sur la musique un rien désenchantée que fait entendre désormais la ronde des cadeaux : « Si je fais appel à mes souvenirs d’enfance, poursuit-il, on ne nous demandait pas d’exprimer un choix. Pour ma part, je m’accommodais du présent qui m’était fait. Aujourd’hui, c’est bien différent : on veut ! On dresse des listes!  Enfin dernier point, les réseaux numériques exercent pleinement leur rôle en amont comme en aval de Noël : les gens font des repérages sur Internet mais diffèreront l’achat du cadeau jusqu’aux soldes du début 2018 ; d’autres mettront en vente en ligne dès l’après-midi du 25 décembre un présent jugé indésirable. Réaction en chaîne, c’est un autre internaute qui l’acquerra pour l’offrir le soir même, à prix cassé bien évidemment… »

Noël comme le 1er janvier sont rattrapés par le monde de l’économie réelle. Où commence la tradition ? Ou finissent magie et légende ? Vite-vite, ramassons sur le chemin de ces Fêtes aiguilles de sapin, codages et algorithmes !

Marie France POIRIER