Conte de Noël : Un père Noël en déroute

 

 

Cette nuit-là, le père Noël de la zone E3 était particulièrement angoissé. On avait annoncé de fortes neiges sur la région qu’il devait couvrir. Il savait que la tournée ne serait pas simple Et puis il était très perturbé par le nouveau mode d’organisation mis en place en haut lieu, utilisant les NTI (nouvelles technologies de l’information) pour se guider.
Le plus vieux renne du troupeau, heureusement, gardait la tête froide. Toutes ces directives ne l’impressionnaient guère. De toute façon, quoique l’on invente, la nature reprendrait ses droits et en cas de problème, rien de tel que son flair ancestral pour retrouver la route.
– « Tu te rends compte, Zéphyr, je suis même équipé d’un GPS maintenant ! Et çà tient chaud ? »
– « Mais non, ce n’est pas un vêtement ! C’est une sorte de boussole combinée à un ordinateur qui t’oriente et trace le chemin. Il suffit de l’écouter et de regarder… »
– « MMM… Oui, un engin pour me remplacer en somme ! Et le GPS, çà tire aussi les traîneaux peut-être ? »
Zéphyr était un peu vexé.
– « Non, non, Zéphyr, mais cela doit nous aider à trouver notre route. »
Et notre équipage s’ébranla, Zéphyr en tête et sa horde de petits rennes et notre Père Noël, surchargé comme d’habitude par les commandes de dernière heure. Là-haut aussi, en haut lieu, on avait parlé d’organisation rationnelle, de gestion des stocks.
Facile à dire, avec les lettres d’enfant qui arrivaient au dernier moment, le tri à faire entre les villes, les commandes groupées, les demandes des communes qui prévoyaient un passage du Père Noël en personne, et les impondérables de la route !
Et en plus, il avait découvert que la région qu’on lui avait affectée cette année n’était vraiment pas simple à couvrir : la zone E3, à savoir la Bourgogne !
Ah, c’était beau. Rien à dire ! Mais quel casse-tête ! On avait de tout, de la montagne, de la plaine, des collines. On passait des forêts épaisses en Morvan où il y avait de quoi se perdre,   sans visibilité, surtout avec des brouillards givrants.
Vers le sud, c’était un vrai  pays de cocagne : le Brionnais avec des replis du paysage tout en rotondités, de jolies églises de pierre et partout de petits bœufs (petits… enfin, vus d’en haut).
A l’est, il fallait faire attention à tous les étangs de la Bresse et ne pas s’embourber en bord de Saône. Au milieu, en Côte-d’Or, de la vigne à perte de vue, entre chemins et rangs de piquets. Et au -dessus, un méli-mélo de falaises, de combes, de bois.
Bref, une région aux contours indistincts où à chaque bord en plus, on risquait d’entrer dans la zone d’un autre père Noël !
Heureusement, les villes étaient repérables : jolies pierre, jolis toits avec même des tuiles vernissées et à Dijon, une tour médiévale en plein centre-ville avec une minuscule terrasse où il fallait atterrir!
– «  Allez, on en a vu d’autres, dit le vieux renne un peu blasé ! »
Et ils avançaient dans la nuit étoilée vers la zone E3.
– «  Zéphyr, maintenant, tu vas vers la droite. Oui, c’est çà, vers Orion puis … mais qu’est-ce qu’il fait cet engin ?! Il m’affiche n’importe quoi ! il vient de me donner des directions opposées ! »
– « Ton «  GPS ! s’impatientait Zéphyr et en attendant, qui va faire le GPS ? C’est moi ! Et moi, je sais me repérer et courir dans les étoiles et la voie lactée, moi ! »
– «  Arrête de grommeler ! Au fond, tu es bien content ! Allez, Zéphyr, on va faire la distribution comme au bon vieux temps ! »
Et le père Noël et son équipage couraient, dépassaient les nuages, croisaient quelques vols d’oiseaux nocturnes, il fallait se dépêcher. Une fois la campagne desservie, restait Dijon. Là, il fallait du doigté à cause des lumières, des bestioles qui trainaient dans le ciel, chouettes, chauve-souris et dieu sait quoi encore, sans parler des lumières éblouissantes !
– « Et si je remettais mon GPS en catimini » se dit le père Noël.
« C’est bon ? », demandait Zéphyr.
« Oui, c’est bon. Vas tout droit. Et maintenant, un peu à gauche ».
On n’y voyait goutte. En descendant, ils avaient trouvé la neige et les tours de Saint-Bénigne qui d’habitude les aidaient bien n’étaient guère plus repérables.
« Ah », se dit Zéphyr qui crut les voir sur la gauche. Sur la gauche ? Mais elles devraient être sut la droite.
– « Encore à gauche» dit le père Noël. Il avait dû se tromper.
Pendant ce temps, l’animateur de service à France Bleu Bourgogne s’apprêtait à passer un chant de Noël.
– « Et maintenant, chers auditeurs, pour vous rappeler votre enfance… »
Suivit alors un grésillement brouillant tous les programmes. Que se passait-il ? Après un long temps mort, l’animateur reprit son programme, totalement impuissant à exprimer cette coupure du son… Il  dit en  plaisantant : « C’est sans doute un atterrissage loupé du père Noël !  »
A quelques encablures de la station tout à côté de la gare, accroché à l’antenne radio, sur l’immeuble très haut qui dominait le parking, un renne fulminait :
– « Et voilà ! Voilà où çà nous mène « ton » GPS ! Je savais bien que ce n’était pas fait pour la route du ciel, moi ! Confondre la tour de cet immeuble et celle du Palais des Ducs ! Franchement ! Et qui va devoir redécoller de là maintenant pour arriver au bon endroit ? »
– « 
Calme-toi, Zéphyr. Promis, je ne me servirai plus de GPS ni d’ordinateur, ni de rien. Allez, Zéphyr, s’il te plait ! Il faut que l’on soit à l’heure. Je dois faire mon apparition sur les toits de l’hôtel de ville à 20 heures. Allez, Zéphyr…on y va ? ».

Marie-Claude PASCAL