La rue Bouhier est un cas à part car elle présente une numérotation que sur seul côté : à droite, celui des numéros pairs. Le coupable à l’origine de l’anomalie ? Eh bien le Palais de Justice qui se permet, sans y avoir la moindre entrée, d’occuper tout le côté gauche. Quant au n°2, il abrite l’imprimerie Pornon, une imprimerie dite de « labeur ». Attention ! Pas question de penser qu’il y a des imprimeries où œuvrent de vrais bosseurs et d’autres qui ne sont peuplés que par l’espèce des paresseux. L’explication est ailleurs : la dénomination indique quel type de travaux peut y être exécuté, et permet d’établir une démarcation avec les imprimeries industrielles ou celles de presse.
Donc une imprimerie de labeur a une vocation multiple : cartes de visite, papiers à en-tête, les avis de naissance, de mariage, ou de décès, ainsi que des écrits de mille sortes, ou encore des comptes rendus et bilans de société destinés aux actionnaires. Pour compléter sa gamme d’activités, l’imprimerie Pornon s’est adjoint l’impression d’affiches annonçant tout ce qui touche à la vie locale ou le plan national.
Affiches en couleurs bien évidemment, tirées non à partir de planches en bois, mais en linoleum. C’est là un procédé de fabrication plus rentable et qui autorise de grands formats. Mieux, l’imprimerie Pornon, qui a plus d’une police pour son alphabet, fabriquera de grandes lettres en métal pour constituer les enseignes de magasins ou indiquer le nom de sièges sociaux, de négoces, bref de toutes activités commerciales ou industrielles.
Dans les années 1960, des étudiants facétieux ont eu l’idée coquine de retirer le N de Pornon. N’allez pas imaginer une seconde, une seule, que notre imprimerie de labeur dijonnaise ait décidé de se consacrer à la littérature classée X. Depuis, l’Impimerie Pornon a récupéré ses deux N. Et son dernier gérant, passionné de lyrisme, avait fait presser un vinyle avec sa voix sur fond orchestral. Il en faisait cadeau à ses amis comme à ses bons clients. Normal, si l’on songe que notre cher Mozart avait en son temps célébré, lui aussi, la ronde des lettres, en composant son abécédaire si fantastique.