Jean Chalmine dénonce « la criminalité environnementale »
Le paléontologue dijonnais Jean Chaline a beau afficher quelque 80 ans pour l’état civil, il fait preuve d’une jeunesse d’esprit époustouflante, d’une grande intelligence sans cesse à l’affût. Cet homme de sciences iconoclaste, ce chercheur passionné par le vivant, directeur de recherche émérite du CNRS (Laboratoire de Biogéosciences de l’Université de Bourgogne) a également dirigé le Laboratoire de Paléobiodiversité et Préhistoire de l’École Pratique des Hautes Études.
Ses principaux travaux concernent l’évolution des rongeurs, l’évolution des hominidés et la théorie de l’évolution. Il s’est attaché à démontrer l’influence d’hétérochronies du développement dans l’apparition et la diversification des hominidés – les hétérochronies touchent les gènes liés au développement, interviennent dans les mécanismes de spécialisation, affectant la taille et la morphologie.
On l’a compris, Jean Chaine s’inscrit en faux contre une évolution linéaire de l’évolution de la vie. Il est l’auteur de plus de 250 publications et 43 livres. Il vient d’achever deux nouveaux gros ouvrages qui seront publiés en mars 2018. Ces ouvrages, Requiem pour l’Humanité et Archéologie des Religions, risquent de faire du bruit, tant par la qualité de ses travaux que par la réflexion politique décapante qui les sous-tend. Dans l’un des chapitres dédié aux « Défis de survie », il aborde les sujets primordiaux que sont la survie de l’homme, le réchauffement du climat et la biodiversité. Aux lendemains de la COP 23 qui n’a traduit aucune avancée significative, Dijon L’Hebdo se devait de l’interroger sur notre planète en état d’urgence, et sur l’implication réelle ou non des Etats pour inverser la tendance.
Jean Chaline : « D’emblée, je voudrais attirer l’attention sur les deux théories – celle de « l’Homme » et celle du « Soleil » qui, tout en paraissant s’opposer, expliquent le changement climatique. Depuis le début du XVIIIe siècle, l’homme par son agriculture, ses élevages intensifs, sa surpêche, ses déforestations massives, ses industries polluantes, est devenu un destructeur de l’environnement, bref un « planéticide ».
Cette thèse développée par le GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat), soutenue tant par les médias que par de grandes revues scientifiques est devenue la « pensée climatique unique ». Des critiques se sont faites jour à l’encontre du modèle mathématique utilisé ; et des corrections ont été apportées. Corrections qui ont conduit les chercheurs à affirmer que l’homme est responsable à 95% du changement climatique, avec à la clef une montée du niveau des océans de près d’un mètre, d’ici à 2100 ! Une élévation qui aura des conséquences irréversibles… En conséquence, j’estime qu’il faudrait baisser de 70% les émissions mondiales de gaz à effet de serre dans les 30 ans à venir, si l’on veut maintenir l’accroissement des températures à seulement +2 degrés.
« Et si le soleil lui aussi était en partie responsable du changement climatique ? »
Encore faut-il tenir compte de l’attitude très hostile de Donald Trump, de la partie de francs-tireurs jouée par la Chine – 1ère puissance industrielle du monde avec les USA – ainsi que de l’Inde qui, sous couvert d’être un pays émergent, aggravent une situation alarmante… Quant au second fauteur des « troubles climatiques », des personnalités scientifiques estiment que l’homme n’est pas le seul « coupable ». Voilà qui pourrait être résumé par la question suivante : « Et si le soleil lui aussi était en partie responsable du changement climatique ? » Oui, disent-ils, avançant deux arguments : les activités cycliques solaires et la circulation atmosphérique à très grande échelle (jet-stream) qui constituent deux autres moteurs perturbant la climatologie terrestre.
Effectivement, il apparaît de façon irréfutable que l’activité solaire – quand l’astre présente des taches en grand nombre – a des répercussions d’une grande amplitude sur notre climat, qui enregistre alors des pics de chaleur. Emmanuel Le Roy Ladurie avait déjà démontré dans ses travaux qu’il existe une corrélation entre les cycles solaires et les températures terrestres. Ainsi, le Moyen-Age a connu une hausse importante des températures, alors que sous Louis XIV les populations ont eu à souffrir d’un « petit âge glaciaire » catastrophique.
La faute à qui dans ces deux époques où l’activité industrielle était quasi-inexistante ? Ce sont donc bien ces variations solaires qui ont été et sont pour une part déclencheur des changements climatiques (1). Or, un facteur devrait nous interpeller sur la situation actuelle : après avoir connu une phase ascendante, le soleil amorce actuellement une courbe d’activité descendante qui, normalement, devrait induire un refroidissement… Nous observons tout le contraire parce que l’homme y ajoute ses rejets de gaz à effet de serre. C’est gravissime !
Vertébrés : – 58% d’extinction
Qu’il s’agisse de la COP 21 ou de la COP 23, l’accord universel qui s’en dégage vise à contenir l’augmentation moyenne de la température en dessous de deux degrés par rapport aux niveaux pré-industriels et à poursuivre cette stratégie pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °. Voilà qui implique que les Etats réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre. Qu’en sera-t-il dans les faits ? Je pose la question. La position de Donald Trump – à laquelle adhèrent 50% des Américains – est en opposition avec les meilleurs spécialistes du climat et ceux de la NASA. Le Président des USA porte en lui une lourde responsabilité politique, alors que de nombreux Etats de son pays sont victimes de sécheresse, ou au contraire d’inondations dues aux cyclones de plus en plus violents. Il y a peu, l’un d’entre eux est passé près de nos côtes bretonnes.
Quid de la biosphère comme de la survie humaine ? C’est au Quaternaire que le genre humain est apparu, il y a environ 2 millions d’années, et notre espèce Homo sapiens, il y a 170 000 ans. Entre 1970 et 2012, les espèces de vertébrés ont décliné de 58 %. Les zones les plus concernées sont l’Amérique Latine ainsi que la région Asie-Pacifique. Autrement dit, la « criminalité environnementale » augmente de façon exponentielle avec une influence directe sur l’évolution de l’homme : disparition des derniers chasseurs-cueilleurs, des Pygmées, de la faune inféodée à des environnements spécifiques, diminution du nombre des poissons (50% en moins du fait de la surpêche), décimation des faunes des eaux maritimes des plateaux continentaux qui bordent les océans. Et, suite à la fonte progressive des glaciers de montagne, il y a une montée de la mer ; enfin, à cause du réchauffement, la réduction de la banquise polaire en septembre permet le passage des navires par le pôle (pollution ?) (2).
En conclusion, avec l’augmentation de la consommation des 7,5 milliards d’habitants et une urbanisation galopante, il s’avère que nous utilisons plus de ressources naturelles que la nature ne peut en restituer en une année. Le WWF a calculé qu’il faudrait déjà une planète et demie pour assurer la capacité régénératrice annuelle indispensable. Il est temps de prendre conscience de l’urgence à trouver d’autres sources énergétiques renouvelables. Toutes ces turbulences planétaires aboutissent à ces interrogations vitales : quel sera le futur de la Terre et, ipso facto, le devenir des générations qui nous suivent ? Quelles seront les conditions de vie – voire de survie pour le monde du vivant – dans les 50 prochaines années ?»
Propos recueillis par Marie France POIRIER
(1) On explique ainsi la corrélation de la mousson indienne avec l’activité du soleil.
(2) Le gaz à effet de serre est très concentré sur la planète, en conséquence, les températures battent des records. En effet, le rayonnement qui devrait être renvoyé vers l’atmosphère se trouve bloqué par le gaz et la vapeur d’eau. Donc, il réchauffe la terre et affecte gravement la toundra, notamment le pergélisol qui fond en libérant du méthane (gaz à plus grand effet de serre que le CO2) et en engloutissant des immeubles dans des cavernes libérées par la fonte de la glace.