Cette rencontre est une découverte. Celle d’un homme qui dévoile une authentique et sincère passion pour tout ce qui touche à la gastronomie. Pierre Pertus, le directeur de l’OPAD, l’association de seniors dijonnais, est capable de nous parler gastronomie avec la délicatesse et le talent d’un chef étoilé. Une interview qui régale.
Dijon l’hebdo : Votre apéritif préféré ?
Pierre Pertus : « Un verre de vin blanc ou rouge : un bourgogne quoi qu’il en soit. « Le vin bu s’attardait plein de soleil à son palais. Foulé dans les pressoirs de Bourgogne. Toute la chaleur du soleil. C’est comme une caresse secrète… » chante James Joyce dans Ulysse »
Votre entrée préférée ?
« Une soupe de melon caressée au miel et griffée au gingembre : froide évidemment pour les étés radieux et chauds. Une soupe tonique qui peut être préparée le matin. La recette en est simple et inratable : pulvériser dans un bol à mixer des morceaux d’un excellent melon et, une fois réduit en soupe, ajouter miel, gingembre frais ou ananas selon les goûts. Servir et, au besoin, déposer un filet d’huile d’olive ».
Avec quel vin ?
« Je l’escorterai volontiers d’un montlouis-sur-loire, blanc demi-sec dont le fruité et le bouquet sauront tenir tête à l’intensité aromatique du melon ».
Votre plat préféré ?
« Le lièvre à la royale. Cette recette est sans doute une des plus folles de la cuisine française. Un affront au diététiquement correct. Pas d’entrée avant : juste ce plat gothique, fumant. Le lièvre gît dans une flaque de couleur chocolatée après avoir subi une cuisson interminable. L’un des plats mythiques de la gastronomie française ».
Avec quel vin ?
« Une cuvée Bettina, du Mas de Mazamet, un languedoc éblouissant ».
Votre fromage préféré ?
« Un cîteaux, ce merveilleux fromage fermier de vache à croûte lavée produit chaque année à 100 000 exemplaires dans la plus pure tradition de l’abbaye où on peut l’acquérir ».
Avec quel vin ?
« Un gevrey-chambertin. Le gras de ce fromage s’accommode bien d’un vin rouge puissant et complexe comme les gevrey ».
Votre dessert préféré ?
« Une tartelette au café dont la recette se trouve dans le livre de l’excellent Christophe Felder, Les folles tartes, lequel la tenait du chef pâtissier du Crillon. Ce dessert ressemble dans son esprit et ses saveurs à quelques desserts japonais ».
Avec quel vin ?
« Je prendrais, pour ma part, un bol de saké ou l’un des délicieux cafés du torréfacteur dijonnais Biacelli ».
Une forme d’élégance de l’estomac
Un légume dont vous ne pourriez pas vous passer ?
« Je dois d’abord dire que j’ai expérimenté pendant une année l’alimentation végétarienne à laquelle je me permettais de faire quelques infidélités avec le poisson. Jamais je crois ne mettre senti aussi en forme depuis 10 ans. Mais comme l’alimentation doit être aussi du plaisir, j’ai recommencé à manger de la viande avec modération. Le légume dont je ne pourrais pas me passer est la pomme de terre. Je recommande le très beau livre que Lucienne Desnoues lui a consacré et dont James de Coquet disait que, grâce à elle, « la pomme de terre a réintégré les trésors des Incas : elle est devenue une pépite d’or ». Il est vrai qu’en cuisine on peut l’utiliser avec profit de l’entrée au dessert et au digestif ».
Où avez vous l’habitude de faire vos courses avant de préparer un bon repas ?
« Fidèle aux préceptes de slow food, dont j’ai créé avec Jean Pierre Gabriel le premier convivium à Dijon il y a plus de 15 ans, je fais mes courses en circuit court chez les artisans, agriculteurs et éleveurs qui respectent les préceptes de slow food : bon, propre et juste. Ainsi que sur le marché de Dijon ».
Votre meilleur souvenir gastronomique ?
« Mon ami peintre et plasticien François Geissman a cuisiné un jour à mon intention un plat terre-mer succulent : « un lapin au risotto à l’encre de seiche ». Cela m’a rappelé un plat similaire, extraordinaire, dégusté un jour où nous visitions l’université du goût de slow food située dans le Piémont et que donnait à la carte le restaurant pédagogique ».
Vos adresses préférées à Dijon ?
« Il y a de bons chefs à Dijon et les bonnes tables sont connues. J’aime tout particulièrement, et depuis très longtemps, le travail du chef talentueux et créatif qu’est David Zuddas. Ainsi DZ’Envies est mon adresse de prédilection. De manière générale, je rejoins Patrick Jacquier, hôtelier et président de l’UMIH Côte-d’Or, qui s’exprimait ici même dans un récent numéro : mes adresses préférées sont celles où l’accueil est chaleureux et où la cuisine est faite avec passion et amour pour le bonheur des clients ».
La meilleure publication sur la gastronomie que vous ayez eue entre les mains ?
« A n’en pas douter, les ouvrages sur la gastronomie de Mary Frances Kennedy Fisher, auteur par ailleurs de Mariée à Dijon. Cette Américaine qui découvrit la gastronomie dans notre ville et notre région dans la première moitié du XXe siècle. Elle est sans doute l’un des plus grands écrivains américains et, à coup sûr, l’auteur majeur sur les nourritures, la gastronomie et l’art du bien-vivre.
Biographie sentimentale de l’huître est un ouvrage élégant, d’une grâce savoureuse, dans lequel M.F.K Fisher nous dit des choses simples et parfois futiles qui, à force de don et d’attention, nous parlent de l’essentiel de ce qui nous importe ici : le goût de la vie ».
Si vous deviez associer une œuvre artistique avec le mot gastronomie ?
« La gastronomie fut et reste une source inépuisable pour les artistes dont les œuvres, au delà de leur beauté formelle sont de formidables marqueurs historiques indispensables pour comprendre l’évolution des goûts, des pratiques culinaires et alimentaires, de l’art et des manières de table comme de la mondialisation à l’œuvre… Le merveilleux ouvrage de Patrick Rambourg, L’art et la table, présente des centaines de reproductions d’œuvres majeures dont j’extrairais volontiers La prune de Manet montrant l’actrice Ellen André assise au café devant un verre de prune à l’eau de vie. Une merveille ! »
En dehors des préparations culinaires, quels sont les meilleurs ingrédients pour réussir un repas gastronomique ?
« Ceux qui permettent une forme d’élégance de l’estomac en nous plaçant dans la perspective du bon repas que l’on va savourer avec ses ami(e)s : l’idéal est d’arriver affamé car s’attabler avec l’appétit ténu est une faute grave de savoir-vivre. Je recommanderais comme exercice préparatoire de se priver du repas qui précède… »
Quel est le lieu qui, pour l’heure, symbolise le mieux la gastronomie à Dijon ?
« Notre riche patrimoine contient un joyau : les cuisines ducales dont Curnonsky disait qu’elles étaient en France les seules cuisines toutes entières contenues dans une cheminée. Il est vrai que l’invention de la gastronomie est postérieure à l’édification des cuisines, mais de ce lieu emblématique à la future Cité internationale de la Gastronomie et du Vin, il y a le chemin de la lente sophistication de la cuisine française. »
Propos recueillis par Jean-Louis PIERRE