29 rue Musette
La rue Musette a, de tout temps, accueilli des enseignes emblématiques de la Cité des Ducs. Certaines, comme le magasin Bloc, qui, depuis 1800, propose des chaussures de qualité aux Dijonnais, ont franchi les années sans prendre une ride. Le Restaurant du Marais, qui fut un haut lieu de la gastronomie dijonnaise, n’est plus, quant à lui, qu’un lointain souvenir de la rue Musette. Retour sur cet établissement, par le biais d’une histoire militaire mais aussi sentimentale…
Nous célébrons le centenaire des années 1017-1918. Des années terribles de ce conflit que les contemporains nomment la Grande Guerre et qui deviendra, hélas, peu de temps après la Première Guerre mondiale. Toute la France est touchée : les hommes de moins de 40 ans font leur devoir sous l’uniforme, les Françaises les remplacent dans des métiers devenus féminins. C’est ainsi qu’un timbre poste de l’époque est illustrée par une femme tenant les bras d’une charrue tirée par deux chevaux.
Un jeune Dijonnais fait sérieusement son devoir dans les tranchées du Nord de la France, dans la boue et sous les mitrailles. Si sérieusement qu’il est blessé trois fois. Au sortir des mains des chirurgiens, il est décidé de l’envoyer en convalescence, ce qui va lui permettre de souffler un peu, retrouver le calme et oublier les bruits des combats. Comme Dijon est bien desservie par le rail, et notamment les trains sanitaires de la Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée, notre ville dispose de nombreux hôpitaux de convalescence. Si bien que le soldat rejoint la Cité des Ducs de Bourgogne, où la présence de sa famille doit également l’aider.
Dijon présente dans sa ceinture des forts plus ou moins vastes qui servent de prison pour les prisonniers allemands. Aussi, après son rétablissement, ce soldat incorpore les régiments qui assurent le contrôle des ennemis pris sur les champs de bataille. La pièce pourrait être écrite et le devoir accompli avec courage et constance pourrait s’achever ainsi. Mais, avant la guerre, notre « piou-piou » a appris le métier de service dans la restauration. Et ce, au sein d’établissements parisiens réputés. Si, dans les lignes du plat pays bouleversé du Nord, la solde de 2 francs par jour ne pose pas de problème car il n’y a rien à acheter, à Dijon, ce modeste pécule ne peut lui suffire à satisfaire ses moments libres.
Hors, rue Musette, existe le Restaurant du Marais, l’un des plus renommés de la ville, avec sa grande salle et des salons pour des réunions plus intimes. Notre soldat prend langue avec le maître d’hôtel et, lorsqu’il y a concordance de ses temps libres de service militaire, il peut les remplacer par des temps… de service du restaurant. Son passage dans les établissements parisiens le fait remarquer par le chef. Si bien que c’est un plus dans la gestion du restaurant et un plus dans ses finances !
Est-ce alors l’ « happy end » d’une histoire heureuse pendant une époque de sang et de fièvre ? Pas tout à fait, car, comme au théâtre, l’intrigue est plus complexe et les rebondissements permettent de tenir les spectateurs en haleine. Poursuivons donc : lors d’un repas, notre serviteur, en costume de serveur, l’uniforme étant aux vestiaires du personnel, entre dans un salon afin de revoir les clients. Stupeur ! Il reconnaît son officier, en costume de ville… avec une charmante Dijonnaise. Il meuble professionnellement son temps libre sans en avoir demandé l’autorisation à la hiérarchie militaire… Pour pimenter le tout, l’officier le reconnaît et lui adresse la parole : « Monsieur, je compte sur vous ; vous ne m’avez pas vu ! » Et le militaire-serveur ou le serveur-militaire de répondre du tac au tac : « Mais Monsieur, je ne vous reconnais pas, je ne sais pas qui vous êtes ! »
Est-ce la maîtrise des événements acquise dans les tranchées où l’analyse du sifflement des obus d’un tir de barrage détermine à peu près où le projectile va tomber qui permet aux protagonistes de conserver leur calme ? Cet incident n’a interpelé personne et ce sont deux civils qui se croisèrent pour la première fois, l’un servant l’autre… qui attendait d’être servi. Comme quoi, ce qui avait été appris sur le champ de bataille, à savoir le sang-froid mais aussi la rapidité de décision, se révélait un atout même dans la vie civile.
Le maître d’hôtel ne fut au courant de rien et notre soldat a continué à servir avec brio une clientèle qui voulait oublier pour un moment la triste réalité. Et celui-ci a pu mettre de côté un peu d’argent qui lui a servi après l’armistice…
Roger Loustaud