En presque 30 ans d’existence, la pyramide du Louvre a acquis une célébrité qu’elle dispute à celles de l’Egypte ancienne. Ce lieu mythique de l’époque contemporaine a servi de cadre politique à deux présidents de la République : François Mitterrand qui en avait décidé la construction, et, le 14 mai dernier, à Emmanuel Macron. Lors de son élection, celui-ci a souhaité s’inscrire dans une profondeur historique. A-t-il « marketé » la France ? Les prises de vue de sa marche ont fait le tour du monde, ont été et sont encore analysées par la presse, les politologues, les spécialistes de la communication, les anthropologues, voire les historiens… C’est dire l’impact d’une image et, dans tous les sens du terme, sa profondeur de champ. Qu’en est-il de la portée des affiches électorales apposées sur les panneaux en vue des législatives, dont certaines sont encore visibles ? Dijon l’Hebdo donne la parole à Jean-Jacques Boutaud, professeur et vice-président de l’Université Bourgogne, en charge du département Communication. Rodé à la réflexion stratégique en matière de communication, comment décrypte-t-il les affiches des cinq circonscriptions de Côte d’Or ? Quels enseignements en a-t-il tirés ?
Jean-Jacques Boutaud : « Je voudrais citer cette phrase d’Umberto Ecco : « Ce sont des structures paresseuses qui ne disent rien sans une interprétation de notre part. A nous de faire le travail ! » Bien entendu, il n’est pas question de jeter la pierre au monde politique. Pourquoi ? Il s’agit d’un domaine qui appartient à un genre très codifié et fait peu appel aux ressources créatives, contrairement à la pub et à la photographie. Et ce, pour des raisons de coût financier. D’autant que l’analyse des comptes de campagne est drastique…
Bref, on est là dans un exercice de style contraint. L’affiche électorale obéît à un principe de réalité qui se résume ainsi : qui s’adresse à moi ? Au nom de quel parti ? Et pour quel message ? Dans le meilleur des cas, on en revient à une image léchée et soignée. Se montrer ou pas, tel est le premier dilemme. Deux ou trois partis – tels les Animalistes – ont choisi la non-présentation des candidats. En revanche, dans la majorité des cas deux dominantes se dégagent : on se présente seul sur l’affiche ou avec son suppléant, ou encore on se fait photographier avec ce que j’appelle « une figure tutélaire », nationale ou locale.
La valeur de crédibilité de l’image s’en trouve modifiée : soit on se positionne dans la perspective nationale d’un parti, soit dans l’ancrage du territoire. Certaines pistes ont été, durant la campagne des législatives, sciemment brouillées par opportunisme politique, notamment par des candidats de droite ou du PS…
Deuxième point important : l’importance des attitudes des candidats sur les affiches. Tous arborent un sourire… C’est là une règle de communication élémentaire : sourire équivaut à s’inscrire dans la proximité ainsi que dans la confiance. Voilà pour la matrice de base : une personne enfermée dans la convention du sourire !
Intervient un autre paramètre : utiliser ou non un arrière- plan ? Si l’on opte pour une absence totale de prise de risque, pas d’arrière-plan, sinon flou… On observe que peu de candidats se sont permis une quelconque audace…
Je résume : une figure, un sourire, pas d’arrière-plan et un marquage textuel très pauvre. Aujourd’hui, même la « signature » du candidat tend à s’effacer, sauf à faire référence à la signature nationale. Les hommes ou les femmes s’étant présentés sur les listes de Mélenchon ou de Dupont-Aignan relèvent carrément de ce cas-là. J’ajouterai que les aspects esthétiques demeurent fort limités. Une telle sobriété du dispositif a conduit tous et toutes à une sobriété vestimentaire (bleu foncé, en général), ou à ne faire appel dans les affiches qu’au seul code couleur de leur parti.
L’efficacité dans tout ça, me direz-vous ? Eh bien, elle est minimale. Elle se résume à marquer un champ de présence. On se borne à être vu… Car, la campagne des Législatives est prise dans un tissu de conventions trop sévère ainsi que dans une grande rigueur économique, qui excluent un quelconque vagabondage de l’imaginaire. Du coup, les militants sont contraints à ce que je nomme « le débordement territorial ». C’est-à-dire : aller sans cesse parasiter le territoire des autres par un recours systématique et intensif au collage et au décollage d’affiches ».
Propos recueillis par Marie-France Poirier