Quinzaine commerciale : Et la lumière fut..

En 1946, la guerre est finie. Il faut remettre sur pied une économie qui a tourné, ou essayé de tourner, sur des principes issus de l’occupation. Il faut aussi retrouver la confiance et se projeter dans un avenir imprégné d’idées nouvelles : étude de marché, standardisation, concentration… venues, avec les GI, de l’autre côté de l’Atlantique et qui incarnent l’efficacité yankee.

Il y a plus d’attente que de produits à vendre. Après les privations, il faut profiter. En ville, pratiquement tous les ménages vivent avec deux salaires. Pendant l’occupation, il n’y a pas eu d’investissements et le marché noir a nourri l’inflation. Ce sont les classes laborieuses qui ont le plus souffert des hostilités et, sur le plan économique, la Libération ne leur apporte rien. Il faut donc retrouver l’espoir avec, d’abord, la joie d’être libre. La municipalité du chanoine Kir va s’y employer et soutenir vivement les initiatives en ce sens.

Un membre de l’équipe municipale, Camille Pelletret, a l’idée de mettre en place un système fondé sur la cascade des investissements. Il cite l’exemple des ronds dans l’eau : le premier est précis, puis les suivants s’agrandissent de plus en plus tout en étant moins précis, disparaissant lorsqu’ils touchent la rive opposée.

On va donc lancer une tombola à l’échelle de la ville qui va, avec un investissement minimum conjoint des clients et des commerçants, engendrer une animation importante, un bouche à oreille touchant tous les quartiers avec par-dessus tout un énorme élan de solidarité. Camille Pelletret crée, ainsi, avec des amis les Manifestations commerciales dijonnaises. Il est connu car son entreprise réalise de nombreux travaux d’électrification dans les immeubles et les appartements. L’effort d’équipement a commencé peu avant guerre avec la Dijonnaise d’Electricité et les lois de nationalisation en créant l’Electricité de France, les crédits spéciaux pour les bailleurs de logements vont insuffler un appétit de modernisation.

Le magasin-atelier, Lumelec, au 25 de la rue Amiral Roussin, avec sa devanture en forme de tableau pour présenter les nouveaux appareils liés à la Fée électricité, attire les passants de la rue, surtout en face du tribunal qui juge les affaires liées à l’occupation.

Lors de la Quinzaine commerciale, l’idée proposée au commerce local est simple : offrir aux clients une réduction minimum, 2 à 3 % sur tous leurs achats pendant un délai court, 15 jours, sous forme de tickets de tombola qui permettent de gagner des lots de consolation et des prix d’importance. Les fonds recueillis avec les tickets achetés par les commerçants pour leurs clients vont aider des œuvres caritatives : Croix Rouge, Ligue antituberculose, orphelins…

Les tickets de tombola sont offerts pour un montant faible d’achats afin de permettre la mise en circulation d’un nombre étourdissant de numéros de chance, des dizaines de milliers. Si cette animation a une indéniable vocation ploutocratique, l’aspect bienfaiteur est dans tous les esprits et la publicité pour grouper les achats insiste sur le fait que c’est une aide substantielle apportée aux associations de secours. Et, au sortir de la guerre, les besoins sont énormes.

Enfin, un ressort motivant soutient la tombola : un gros lot, en l’occurrence une automobile. En 1946, le prix d’une voiture représente plusieurs années de salaires d’un ouvrier. Cette opération n’a lieu qu’à Dijon, pendant la Foire gastronomique qui attire beaucoup de visiteurs venus des environs et qui bénéficient de tarifs réduits proposés par la SNCF.

Lumelec a aussi un magasin sis au Coin du Miroir où il propose de nouveaux appareils comme les armoires frigorifiques que l’on retrouve en nombre dans les lots moyens de la tombola. Le lundi de la publication des résultats, il faut un deuxième journal pour donner tous les numéros gagnants.

Dès la première année, une anecdote court la ville : une jeune fille, pour son premier emploi de vendeuse dans un magasin de tissus, doit acheter une paire de ciseaux. Son ticket lui permettra de gagner la première voiture mise en jeu. Le succès est immédiatement au rendez-vous. Chaque année on attend avec impatience la Quinzaine et, avant d’acheter, on prend la précaution de demander au commerçant s’il participe à l’événement.

Cette manifestation commerciale va disparaître en 1995.

Roger LOUSTAUD