Il y a bien longtemps, en banlieue parisienne, certains élèves, fâchés contre moi, m’apostrophaient avec leur « D’abord-qui-t’es-toi ! ». Après plusieurs années je fis le constat de mon échec linguistique et de ma réussite éducative ; toujours fâchés pour quelque bricole, ils m’adressaient alors un « D’abord-qui-t’es-toi-s’il-vous-plaît-Monsieur. » Vois-tu lecteur, je crois que je les préfère aux inconnus de la toile qui aujourd’hui me brandissent leurs identifiants et leur mot de passe pour me demander qui je suis.
Je me demande bien quel âne a pu recourir au mot « identifiant » pour désigner une personne … peut-être quelqu’un de la Stasi ou de quelque service d’espionnage. Ton identifiant, ce peut être une adresse électronique, un numéro de téléphone, ou toute suite de caractères…Ne confonds pas, bougre de lecteur, ton username avec ton screenname, car c’est le signe clinique d’un début de schizophrénie. Ta bécane en somme te dit que tu es dingue !
Les choses se compliquent sensiblement avec le mot de passe ou password. Et là, on te prend vraiment pour un …Ali Baba ! Au départ il faut choisir une suite de lettres, je n’ose plus dire mot, ou de chiffres que tu peux retenir, pardon mémoriser, facilement : tu penses à ta femme, à tes enfants, à toi, à ton département, à ta date de naissance, à ta bestiole domestique, bref à ce qui t’est familier. Dès lors, le monsieur du logiciel t’explique que ton password n’est pas assez sécurisé : du coup ton pauvre chat que tu croyais normal adopte un caractère spécial, le numéro de ta maison se transforme en code du répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIIPP), ta femme devient Pénélope47, ce qui peut gravement nuire à ton couple mais qui t’assure une réputation sexuelle d’enfer…
Bien entendu, si tu as plusieurs mots de passe, un peu comme un gros trousseau de clefs, tu vas copieusement te casser la tête à retrouver le bon et tu vas te mettre à combiner le chat avec ta date de naissance dans ton département du temps où tu étais marié avec Pénélope 36. Heureusement tu peux t’adresser au Créateur pour obtenir un nouveau mot de passe : tu penses à Hugo, ton romancier préféré, mais on t’annonce que c’est trop court ; tu te rabats alors sur l’auteur des Fleurs du mal qui devient B0dela1re2001…Le résultat ne se fait pas attendre : quand tu veux rentrer chez toi, tu tapes un sésame erroné, mais comme tu n’as droit qu’à trois essais et qu’on te fait jouer, à plus de soixante balais, au jeu des dessins à cliquer (deux fois le renard, une fois la fleur, une fois l’avion et deux fois l’âne)… au moment même où tu réussis cette épreuve de Fort Boyard, il y a un petit malin qui te dit que ta session, trop longue, a expiré…
Imagine, cher lecteur, le nombre de drames qui vont survenir quand un âne exigera un mot de passe pour aller pisser !
ALCESTE
