Suite à une petite opération que j’ai subie, une banale opération d’une hernie inguinale comme il s’en effectue près de 150 000 par an, je souhaite vous entretenir des dépassements d’honoraires. Je vous narre ce parcours médical…
Gênes ressenties, donc docteur traitant qui prescrit une échographie, puis direction le chirurgien pour un entretien ; trois minutes de consultation avec auscultation, puis dix minutes de paperasses, signature du ‘consentement éclairé’ et LA question importante : « Avez-vous une mutuelle ? » « Pourquoi ?», lui ai-je demandé, faussement innocent, car je le voyais bien venir ! « C’est pour le dépassement d’honoraires… » Un blanc, puis je l’ai interrogé sur le montant du dit dépassement ; et l’homme de l’art de m’annoncer « c’est une intervention cotée 220 € par la Sécu et le dépassement est de 280 €, ce qui fait un total de 500 € », tout en me tendant son devis ainsi qu’un stylo pour signature par mes soins. La bonne nouvelle c’est qu’il ne me l’a pas demandé en dessous de table comme, paraît-il, cela se pratique parfois… Bigre, le dépassement coûte donc plus cher que l’opération proprement dite ! Tandis que j’hésitais quelque peu à parapher, il a rajouté « ce n’est pas que ce soit très urgent mais il vaut mieux intervenir rapidement car, au cas où votre hernie ferait des siennes, là il n’y aurait plus que 6 heures pour intervenir, sinon… ».
Sinon quoi ? Navré, je n’ai pas eu de réponse mais il m’aurait presque flanqué la trouille, le bougre ! Bah, j’ai signé et je fus aussitôt adressé à un anesthésiste pour la visite préopératoire ; tout en débitant la liste de mes antécédents, vint le moment où je préférai prendre les devants en lui demandant si lui aussi pratiquait le dépassement d’honoraires ; je l’ai senti un peu gêné que ce soit moi, le patient, qui pose cette question ; il m’a annoncé un « misérable » 50 € de dépassement, sans toutefois le justifier.
Un peu surpris malgré tout, je lui narrai la demande de dépassement d’honoraires de son collègue le chirurgien qu’il expliqua aussitôt en me disant : « Les chirurgiens font beaucoup moins d’actes que nous ». Cher docteur anesthésiste, rassurez-moi, vous serez bien présent tout au long de l’opération, n’est-ce pas ? Vous n’allez pas m’endormir puis partir en faire de même avec deux ou trois autres patients dans d’autres blocs et revenir quand mon chirurgien aura fini son ouvrage ? Si vous êtes là tout le temps, comment expliquez-vous que vous fassiez plus d’actes que le chirurgien ? Je suis perdu…
Je passe à d’autres considérations d’ordre plus général qui intéresseront l’ensemble de mes lecteurs car nous sommes tous potentiellement concernés.
Notre bonne vieille Sécu a établi une tarification pour chaque acte médical, elle est consultable sur www.ameli.fr et compte la bagatelle de 165 pages. Mais comme la Sécu est un peu pingre pour cause de déficit cumulé (156,4 milliards d’euros fin 2015), elle a aussi laissé se créer les secteurs 2 et 3 où les médecins et chirurgiens peuvent, s’ils le souhaitent, pratiquer des dépassements d’honoraires. Plus jésuite, y’a pas… ! Je me pose la question suivante : soit un acte vaut réellement le tarif fixé par la Sécu et on ne comprend pas l’existence des dépassements, soit les actes sont sous-cotés et les dépassements sont justifiés. Où est la vérité dans cette histoire ? Comment, dans mon modeste cas, ne pas se poser la question du vrai coût de l’intervention quand les seuls dépassements sont supérieurs au coût de la nomenclature de la Sécu ? J’entends bien qu’il n’y a pas que les honoraires du chirurgien et de l’anesthésiste ; interviennent aussi la location du bloc opératoire, le personnel d’assistance médicale avant, pendant et après l’opération, les coûts administratifs de la clinique, les assurances des différents intervenants, etc. Mais n’est-on pas capable de calculer le vrai prix de tout ceci qu’il faille laisser à la discrétion des hommes de l’art le soin de le fixer par eux-mêmes ? Qui va m’empêcher de penser qu’il n’existe pas là une médecine à plusieurs vitesses et, disons le clairement, tarifée à la tête du client et surtout de la qualité de sa mutuelle ? Jusqu’à la mise en place d’une complémentaire santé obligatoire depuis le 1er janvier 2016, il y avait encore plus de 5 millions de personnes sans mutuelle. Et encore, cette complémentaire santé n’est rendue obligatoire que pour les salariés. Quid des retraités par exemple ? Eh bien ils payeront leur mutuelle « plein pot », c’est-à-dire intégralement de leur poche, pile au moment de leur vie où le recours à la médecine va crescendo et où, par la force des choses, leurs revenus diminuent. Je m’interroge : est-on aussi bien soigné/opéré quand on n’a pas de mutuelle ou même quand celle-ci rembourse mal (voire pas du tout) ces fameux dépassements d’honoraires ? J’ose l’espérer. Les détenteurs de la CMU en sont-ils exonérés par les praticiens ? Etc., etc. Il y a décidément bien des zones d’ombre au royaume de la médecine et de la santé…
A l’heure où des candidats à l’élection présidentielle nous promettent ce miracle de meilleurs remboursements tout en réduisant le fameux déficit de la Sécu, il est permis de s’inquiéter de cette patate chaude des dépassements d’honoraires qui confirment que, si la santé n’a pas de prix, elle a bel et bien un coût. Je veux bien l’assumer mais que ce soit en toute transparence…