Pour inaugurer cette nouvelle rubrique qui prendra place dans Dijon l’Hebdo jusqu’à l’inauguration de la Cité internationale de la gastronomie et du Vin, Jean-Jacques Boutaud, professeur à l’Université de Bourgogne, spécialiste incontournable de la sémiotique du goût, nous ouvre les portes de ses gourmandises.
Votre apéritif préféré ?
Le champagne, distingué et subtil, donc sans discrimination de genre, alors que d’autres alcools peuvent être plus discriminants entre hommes et femmes et manquent parfois de distinction, d’élégance au moment dit trivialement de l’apéro.
Votre entrée préférée ?
Des asperges de Ruffey, aux notes aromatiques florales et noisette. Saveurs simples, pour ne pas dire élémentaires que les puristes n’aiment pas corrompre avec une mayonnaise. Ils ont tort, l’accord peut atteindre la perfection.
Avec quel vin ?
Un bourgogne Hautes Côtes de Nuits blanc, pour ouvrir le repas en fraîcheur, avec sobriété dans le choix et belle tonalité dans l’ouverture du repas gastronomique.
Votre plat préféré ?
Le filet de bœuf aux morilles, un rituel incontournable dans ma famille, à Noël et dans les grandes circonstances gastronomiques. Pas facile à marier avec un vin, mais au fil des années, je privilégie un vosne-romanée maison ou un bon moulis, s’il faut sortir de l’accord local.
Votre fromage préféré ?
A l’image des autres moments du repas, que de possibilités ! S’il faut en choisir un : le morbier, avec ou sans pain, moelleux et parfumé à souhait… à toute heure.
Avec quel vin ?
Un jura blanc, bien sûr. Avec les années, j’apprécie l’accord chardonnay-savagnin, avec un équilibre qui peut atteindre les sommets.
Votre dessert préféré ?
J’adore le baba, mais s’il faut conclure sur une note moins marquée par l’alcool ou l’alliance naturelle avec le goût du rhum, je me reporte toujours sur les classiques : les tartes, gâteau de riz, marbrés, avec une mention spéciale aux œufs à la neige de mon épouse.
Avec quel vin ?
J’ai pris mes distances avec les liquoreux car la surcharge de sucre en fin de repas ne fait plus l’unanimité, loin de là. Ma préférence va maintenant aux effervescents, on a parlé du champagne, on pourrait regarder du côté des Crémant premium.
Un légume dont vous ne pourriez pas vous passer ?
Je pourrais cibler les légumes verts qui ont toujours quelque chose de vertueux, en termes de goût et de santé. Mais pour rester fidèle aux saveurs les plus ancrées dans mon imaginaire, je détache la pomme de terre comme horizon indépassable de séduction, de variété et de plasticité des formes culinaires.
Où avez-vous l’habitude de faire vos courses avant de préparer un bon repas ?
Le marché, les Halles, les petits marchands de la ville.
Votre meilleur souvenir gastronomique ?
En toute franchise, je pourrais dessiner une polarité entre le plus élémentaire de la gastronomie, le pique-nique en pleine immersion dans la nature et totale disponibilité aux produits simples, savoureux et, à l’autre bout, les émotions gustatives des grandes tables. Je pense à un repas déclinant la truffe sous toutes ses variations, chez Troisgros à Roanne. L’extase…
Vos adresses préférées à Dijon ?
En fréquentation courante, j’aime la table de David Zuddas (DZ’Envies) et je garde un souvenir ému de sa table à Prenois. Pour un verre entre amis, nous avons pour rituel de nous retrouver rue Monge, O gré du vin, le patron choisit pour vous et ne se trompe jamais, dans le rapport qualité-prix.
La meilleure publication sur la gastronomie que vous ayez eue entre les mains ?
Sans hésitation, la Physiologie du goût de Brillat-Savarin (1825), car il attaque le goût et la gastronomie avec l’œil de l’humaniste et ne rate rien de notre attachement fondamental à la table. Plus près de nous, Planète Marx, avec les macrophotographies de Mathilde de l’Ecotais, est un véritable chef d’œuvre.
Si vous deviez associer une œuvre artistique avec le mot gastronomie ?
Pour les besoins d’un ouvrage, L’Art fait ventre, j’ai tenté de redessiner le paysage des œuvres cultivant l’imaginaire gastronomique. Les natures mortes de Chardin subliment le rapport sensuel aux aliments, les impressionnistes ont su recréer les atmosphères. Pour détacher une œuvre, je retiens les paraboles d’un Francken avant les rusticités d’un Brueghel, même si elles fascinent par leur grouillement.
En dehors des préparations culinaires, quelles sont les meilleurs ingrédients pour réussir un repas gastronomique ?
Le plaisir d’être ensemble, la convivialité, pas seulement la commensalité. L’ouverture de l’appétit et de l’esprit…
Quel est le lieu qui, pour l’heure, symbolise le mieux la gastronomie à Dijon ?
Un lieu public, de vie, d’échanges, d’offre alimentaire bigarrée, personnalisée, incarnée. Le marché, bien sûr, les Halles, le ventre de Dijon.
Propos recueillis par Jean-Louis PIERRE
Carte blanche pour la Cité
« Sans même attendre l’ouverture de la Cité, en 2019, il ne faut pas craindre, à mon sens, de multiplier les pistes. Je resterai dans mon registre d’universitaire et d’auteur passionné par la gastronomie et la communication autour du goût. Nous avons commencé à publier sur Dijon et la Cité (EUD, 2016). Cela préfigure tout un monde d’éditions (magazines, ouvrages, multimédias) pour la Cité, en abordant la gastronomie sous les angles les plus beaux, créatifs, inattendus.
La Cité, ce doit être aussi le lieu de rencontres, d’événements. Nous avions inventé la BIAC (Biennale Internationale des Arts Culinaires) à Dijon, on pourrait s’en inspirer et faire mieux encore à partir de ces expériences pas si anciennes. Imaginer plus encore des événements autour de la communication, du vin, de l’œnotourisme ou du réenchantement par les nouveaux usages numériques. Et il y aurait tant à dire sur l’éducation au goût… »