L’été a été meurtrier. Combien de « Plus jamais ça », avons-nous entendus ? La preuve est faite qu’installer des caméras aux quatre coins d’une ville est quasi illusoire, et que la guerre et le terrorisme font imploser les vies de personnes sans histoires. Faut-il pour autant s’interdire de vivre, d’oser les plaisirs de l’existence ? Et puis, à qui sert et que masque l’amplification de l’insécurité savamment orchestrée par les médias, sinon au gouvernement et à un François Hollande qui se campe en Jules César, vainqueur des Gaules ? Faute de combattre le mal du siècle qu’est le chômage structurel – un sujet de préoccupation tout aussi gravissime que celui de l’insécurité – les hommes et les femmes politiques de droite comme de gauche se sont contentés, cet été, de faire du karaoké à la télé et d’aller à la pêche aux voies dans les bacs à sable de nos vacances.
Mais à l’orée de la rentrée, récapitulons les séquences estivales, et voyons sous quels augures se présente l’automne … La nuit des étoiles s’est déroulée dans plus de 400 villes de France ; son succès donne à penser que l’on sait encore s’envoler vers les galaxies et apprécier le langage du Petit Prince. Un langage qui entrouvre une porte sur le sens caché des choses, sur les mystères de l’univers. Un langage pour exprimer quoi d’autre ? Eh bien, le bonheur bon enfant que nous avons ressenti à regarder les mille et une grappes colorées de randonneurs-cyclos en Côte d’Or et dans Dijon, en août. Ils nous ont, ces courageux, semblé témoigner d’une perception authentique de la nature, des paysages, de nos départementales ombragées et pittoresques. Ils nous ont également fait prendre la pleine mesure de l’effort ou de la joie à se dépasser. C’est dire, si ces cyclistes nous ont paru fort éloignés des nouveaux envahisseurs de l’été que furent les selfies. Oui, les selfies ! En voilà des sacrées bestioles, qui nous ont contraints, bien souvent à notre corps défendant, à partager les vacances – forcément plus sublimes que les nôtres – des copains coquins. Pitié ! D’autant que notre quotidien de rentrée est plus que jamais rythmé par le tempo des réseaux sociaux, quand ce ne sont pas les bonds et rebonds des Pokémons Go. Un simple clic-clac d’iPhone ou iPhone en bord de mer, et tout un peuple grimpe à bord d’un navire algorithmique et ivre. Bravo, Instagram. Et que le culte du Pic et pic et colégram, Bour et bour et Ratatam s’étende sur nos âmes bêlantes ! Ainsi soit-il.
Et dire qu’on ne cesse de brandir l’exigence d’un tout-sécuritaire… Curieusement la traque au numérique nous rend aveugles à l’essentiel : naviguer dans le dédale d’une ville, autour d’un rond-point en compagnie d’une armada de Pokémon Go induit un réel danger, pour soi-même comme pour autrui. Mais, qui oserait jouer les ringards patentés, en dénonçant l’inconscience que font courir tous ces moines-soldats radicalisés de l’obédience Nintendo et de la connexion mobile ?
Chassez le Pokémon Go, il revient au galop à la rentrée. Diable ! Il dope l’économie de marché. Une « nouvelle industrie de vie » vient de naître avec ses cyber-trolls et lutins virtuels. C’est que ces gaillards-là savent mettre du Peps dans l’assiette, et coloriser les séquences des matins pâlichons, ou chasser les bâillements chagrins post- vacances … Est-ce à dire que le numérique avec sa « réalité augmentée » est, à ce point, facteur de rêve, de rédemption? Reste « la » question existentielle : mais, vers quoi les Pokémons Go nous dirigent-ils ? En quoi nous permettent-ils d’apprécier la beauté d’un livre, la campagne ou le bas-relief d’un monument ? Faut-il vraiment passer par ces intercesseurs de la Silicone Valley pour s’imprégner de la profondeur du Dormeur du Val, ce beau et tragique poème d’Arthur Rimbaud ?
A la rentrée, les profs auront précisément bien du mal à expliquer aux élèves qui était Rimbaud, homme de la fugue et des ailleurs improbables. Dès lors, faut-il lui attribuer pour compagnons de voyage une escouade de Pokémons Go ? Pokémons qui ne seront jamais des nomades aux semelles de vent …
Marie France Poirier