Travailleurs, travailleuses…

Arlette Laguiller, un nom que les moins de 20 ans – étudiants en facs, 18 ans avec ou sans bagages scolaires, ados issus de familles – qui depuis trois générations survivent de RMI en RSA – ne peuvent pas connaître. Leader de Lutte Ouvrière et star politique des années 80/90, Arlette Laguiller ne commençait aucune de ses harangues à la télé ou dans les manifestations de rue, sans brandir son fameux drapeau sémantique : « Travailleurs, Travailleuses ! » Tout un symbole.

Certes les Trente Glorieuses appartenaient depuis belle lurette au passé, mais la jeunesse nourrissait l’espoir de jours meilleurs et on ne s’avouait pas encore que la France avait mis le pied dans le chômage de masse. Les septuagénaires ainsi que les sexagénaires d’aujourd’hui portent sur cette période-là un regard sépia et nostalgique …
Avec la réforme du code du Travail, le gouvernement offre l’occasion de « revisiter » ce substantif qui met le pays en ébullition, de tirer leçon des différentes valeurs que les sociétés humaines lui ont attribuées d’une époque à l’autre. En un mot comme en cent, travail et condition humaine constituent-ils un mariage d’amour ? De raison ? Est-ce un acquis culturel ?
En 2016, nous passons près d’un tiers de notre vie au travail. Dès lors, le travail est-il un obstacle ou une condition du bonheur ?
Marche arrière toute ! Branchons le GPS pour aborder les terres de la préhistoire. Il semble que ce soient les Néandertaliens, puis les Homo Habilis et leurs cousins Sapiens Archaïques qui auraient débité dans la roche des éclats, afin d’en faire des racloirs et des bifaces, des pointes et lames pourvus de manches, sans doute en os et en bois. Les paléontologues discernent dans les vestiges parvenus jusqu’à nous la base d’une industrie lithique, les ébauches d’un outillage et le balbutiement de ce qu’on pourrait… appeler « travaux des champs » : chasse, cueillette, construction de cabanes et utilisation de ces piments destinés aux graphiques qui font aujourd’hui notre émerveillement dans les grottes, telles Chauvet en Ardèche ou Lascaux etc.
Dans la pensée occidentale de l’Antiquité, les vocables qui désignent «emploi » et « profession » n’existaient pas. Il n’y avait que deux mots pour exprimer la « peine » ou le « labeur » : Ponos en grec et labor en latin. Que ce soit Platon, Aristote ou le Moyen Age, les philosophes, les érudits d’alors concevaient la société comme traversée par un fossé : ceux qui travaillaient (les esclaves, les hilotes puis les serfs) au service d’une élite constituée de gens d’Eglise et d’hommes d’armes perçus comme ne travaillant pas !
Progressivement, ce hiatus sociétal se réduit. Et toutes les occupations des hommes seront pensées comme un travail, dans le sens de fonction et d’emploi. Le travail gagne véritablement ses lettres de… noblesse aux XIXème/XXème siècles : il est perçu comme inhérent à la condition humaine. Il permet aux individus d’exister, d’être acteur de leur avenir et partie prenante de la société. De marqueur de la condition déchue de l’homme, de soumission exprimée par ponos ou labor dans l’Antiquité, le travail se vit – dans le meilleur des cas – en termes de dignité, d’expression de l’esprit, de signe d’autonomie. Cerise sur le gâteau, on lui confère la notion de plaisir ; et on y voit l’opportunité de satisfaire un goût du risque, et pourquoi pas un dépassement de soi-même !
A la fin des années 90, l’avancée des progrès techniques donne à penser aux sociologues américains que les hommes n’auront bientôt plus la nécessité d’aller au boulot. Et qu’il leur faut apprendre à vivre sans travailler dans une société dite de loisirs. Aille-aille !
Est-ce pour les actuels descendants d’Adam et d’Eve le jardin d’Eden retrouvé ? Que nenni ! La montée et la persistance du chômage donnent un bon coup de balai à ces théories utopiques qui font l’impasse sur la valorisation morale et pécuniaire procurée par l’exercice d’un métier. Et qui nient l’économie de marché. Toucher des allocations, ne plus être soumis à l’obligation de travailler sont bien loin de satisfaire de très nombreux chômeurs. Ces derniers vivent mal le temps libre imposé, la réalité d’être exclus, le sentiment d’être dépourvus d’une colonne vertébrale. Paradoxalement, ceux qui occupent un emploi stable et sécurisé ont été parmi les premiers à exprimer une méfiance face à l’éventualité d’une réforme des contrats et du statut de salarié. Crise de la pensée made in France?
Curieusement, et c’est là « le » grand sujet de réflexion qui devrait préoccuper tant le monde politique que les milieux d’affaires : la fabrication des premiers outils par les hommes de la Préhistoire, ainsi que l’amorce d’activités vivrières (dès 38 000 avant notre ère) ont été concomitantes de l’éveil du genre humain à la spiritualité !
Marie France POIRIER