6 place du Théâtre

Chaque immeuble est construit pour répondre à un besoin de son propriétaire. C’est la première contrainte que doit respecter le constructeur en même temps qu’il tient compte des règlements et des désignations spécifiques liés au permis de construire délivré par la municipalité. Enfin, les possibilités de financement interviendront dans l’ornement du bâtiment et la rareté des matériaux employés.
Mais les années passent et l’utilisation du bâtiment peut évoluer au gré de l’économie. Ainsi, la banque installée au 6 de la place du Théâtre s’agrandit après-guerre par l’acquisition du restaurant « La Flamande », mitoyen. En un siècle, la vie de l’entreprise a suivi celle de la cité et l’économie en général. Si les pierres parlaient, nous pourrions connaître beaucoup de secrets d’affaires qui, par principe, font partie du secret professionnel.
Il est possible de se souvenir des nazis armés de marteaux et de burins envahissant la salle forte des sous-sols pour fracturer les compartiments de coffre-forts loués par des clients de confession juive. On peut aussi se souvenir des décors et agencements cossus faits de boiseries et de vitres créant une atmosphère de calme et de confiance. Les bureaux particuliers aux sièges de cuir recevaient les clients désireux de conseils pour la gestion de leur patrimoine ou les entrepreneurs venus chercher l’accord de crédits pour le développement de leur entreprise.
Le chanoine Kir, maire et député, passe de temps à autre pour connaître l’état de son compte et le pouls du quartier.
Paul Meurisse, élève d’un collège de la ville, parfois à la sortie des cours, s’arrête sur le chemin de l’appartement, près de la place Dubois, au bureau de son père, directeur. Déjà attiré par la beauté des textes, il échange avec le responsable du service étranger, également administrateur des Belles Lettres. Devenu acteur, il n’oublie pas ces moments et à chacun de ses passages professionnels à Dijon, il fait porter fleurs et billets de faveur.
Meurisse père, directeur, s’est signalé car excédé d’entendre un militant proposé le journal syndical devant la porte, est sorti pour acheter le stock des exemplaires non encore vendus. Il est rentré dans son bureau et a déposé le paquet de journaux dans la corbeille à papier. Gageons qu’à son retour à sa centrale syndicale, le militant a eu les félicitations du chef… et l’explication du mur de l’argent.
Maintenant, la place du Théâtre sans parkings proches, isolée, transport public parlant, du centre ville, n’est plus l’emplacement idéal pour un établissement bancaire. La banque va migrer vers la place Darcy. Le local, vaste, laissé libre, va faire le bonheur d’une supérette de proximité qui proposera aussi des sandwiches. Heureusement qu’il y a encore une bibliophile, l’annexe, la Nef, de la bibliothèque municipale, pour satisfaire l’esprit. Le chaland, par contre, continuera à pouvoir moins souvent, se munir d’oseille…