Une librairie qui ferme ou qui va fermer est toujours un mauvais signe pour une cité, car c’est aussi un commerce de proximité qui s’arrête. Une librairie en moins est un espace de liberté qui disparaît.
Mais une librairie qui ferme n’est pas le fruit du hasard car d’autres librairies se créent ou subsistent. Si Dijon est bien représenté dans le panel des librairies existantes, Dijon n’est pas sur-représentée.
Il y a certes le problème du livre en général mais il y a aussi celui de la vente.
C’est de la « Lib de L’U » à Dijon dont on va parler. Cette librairie va sans doute fermer. Reconnaissons qu’elle possède une conception redoutable dans l’approche marketing de l’anti- vente : rayonnages usés jusqu’à la corde et d’une autre époque, éclairage des années 60, empilement des livres à la Gaston Lagaffe, classification « bordélique », approvisionnement aléatoire, circuit de déambulation linéaire digne d’une grande surface de bricolage, une double entrée qui aurait pu être un atout mais qui devient double sorties de secours…
Un personnel compétent mais complètement démotivé et aigri (on le serait à moins) et ce depuis très longtemps. Une tristesse générale où il ne manque plus qu’une corde pour se pendre. Arrêtons les kleenex pour parler livres et librairies. Soyons primaires et pragmatiques. Comparons ce qui n’est pas comparable. En moyenne un livre coûte le prix de trois paquets de cigarettes, de treize litres de carburant diesel ou d’une bouteille de bourgogne-village. On « mégote » pour un livre mais non pour des clopes (sic). Arrêtons ici les comparaisons qui énervent les fumeurs et les buveurs. Rouler au diesel, fumer et boire tuent… mais un livre peut-il tuer ?
Pour mémoire, des livres non interdits ne sont pas distribués car politiquement incorrects là où d’autres sont abusivement promotionnés car bien pensants. Encore pour mémoire, beaucoup de personnes qui achètent des livres ne les lisent pas ou s’arrêtent au premier chapitre. Nombre d’acheteurs de beaux livres les posent sur la table basse du salon mais oublient de les ouvrir. Le livre-déco en quelque sorte.
Enfin, une tranche de lecteurs achète des livres spécialisés et les utilise un peu comme un dictionnaire afin de vérifier ou peaufiner des idées. Puis il y a les inévitables BD. Le marché est ouvert. Donc, si globalement le contenu est relativement digne d’intérêt, on peut penser que le contenant pêche quelque part en dehors de la décoration .
C’est bien le vendeur qui fait le lien organique entre le contenant et le contenu. Le vendeur se divise en deux catégories : le vendeur stricto sensu et l’employé qui fait profession de libraire. Celui qui connaît les livres. Et la tâche de ce dernier est rude. Il a devant lui le monde de l’informatique qui peut se définir comme le maximum d’informations dans le minimum de temps. On confond de fait information et savoir en vue d’une connaissance ultérieure.
Et là c’est terrible. On utilise une information en croyant posséder un savoir. On devient un sophiste. Nous nous rappellerons que le philosophe Socrate aimait discuter parce que le dialogue était pour lui le moyen de parvenir au savoir. Et bien dans une librairie digne de ce nom le dialogue devient le moteur de la vente d’un ouvrage.
Exit le vendeur et place au libraire qui connaît les ouvrages du rayon dont il a la responsabilité. Il discute avec son client dans un environnement agréable. Un client qui parcourt les rayonnages avec cette sensualité qui lui fait aimer le grain d’un papier ou la typographie de l’impression avant d’aller s’asseoir dans un fauteuil club en cuir brun…
Et n’oublions surtout pas que bibliothèque, médiathèque et librairie font cause commune.
François NEDELLEC