Chacun qui a l’intention de se débarrasser, dans le plus complet anonymat, d’objets de toute sorte dont il n’a plus l’usage, peut avoir recours aux services de l’un ou l’autre des commissaires-priseurs qui exercent à tour de rôle, à cette adresse où se tient une salle des ventes. Les salles de ventes aux enchères sont des salles de spectacles gratuites, chauffées et à l’abri par temps incertain ou pour les saisons froides. Il y a des habitués de la salle avec l’un ou l’autre des officiers ministériels, qui, avec la fréquentation habituelle finissent par se connaître, échanger des informations. Par exemple sur les prix atteints lors de ventes antérieures. Le rituel des ventes, présentation descriptive du lot objet de l’enchère, la mise à prix, commentaire des coummissaires pour lancer la vente porte la “patte” de l’officiant. Le commissaire doit mener l’enchère la plus haute afin de satisfaire son client et de conforter son exploitation puisque sa commission est fonction du prix atteint. Pour chaque vente, un jour ou deux avant, il y a, dans la salle l’exposition des lots. Les acheteurs potentiels peuvent voir, se renseigner auprès du professionnel. Ils peuvent supputer le prix maximum qu’ils offriraient. Mais, il y a les enchérisseurs qui n’ont pas pu venir lors des expositions, ils comptent sur le commissaire pour être renseignés au mieux. Il y a une cinquantaine d’années, l’un des deux commissaires-priseurs était Mademoiselle Chansel, Maître Chansel qui possédait l’art d’animer la salle et les enchères. Elle avait ses “fans” qui venaient pour l’entendre, sans intention précise d’achat. Elle était aidée par son frère qui officiait comme magasinier-chef. Il présentait, au fur et à mesure, les lots mis en vente par sa sœur en les levant à hauteur de sa tête. Dans la salle, contre le mur latéral, était l’estrade avec une banque puis entassés l’un sur l’autre jusqu’au mur en retour tous les lots du jour. Maître Chansel et le comptable enregistraient les lots avec leurs prix et le nom des acheteurs. La banque retentissait des coups de marteau de Maître Chansel. Elle annoncait pour chaque lot le déroulé de la vente. “Dix francs pour ce lot de linge pour commencer, dix francs sont demandés, y-a-t-il preneur ?” “Oui, Monsieur au premier rang, onze francs pour Madame, douze francs une fois, c’est bien vu !”. Un coup de marteau. “Douze francs, trois fois, adjugé, vendu à Monsieur X”. Et le marteau frappait. Et un après-midi pas comme les autres, une séance mémorable : Maître Chansel vend un fond de maison, des paniers et des paniers de tout. Arrive une panière avec des draps de lin. Maître Chansel lance la vente, mais personne ne relève l’offre. Elle s’évertue, la salle reste muette, personne n’est preneur, alors elle interpelle un client connu pour acheter toute sorte de lots bon marché, elle le connait et lui demande de se décider. Il rechigne, prétexte que les draps n’ont pas été dépliés et qu’ils peuvent “être murs” au milieu. Ordre est donné au magasinier de montrer, celui-ci s’exécute en bougonnant et d’un coup vif tire un coin du drap de dessus et, stuppeur, silence assoudissant, des billets, tels des feux d’artifices s’envolent, planent au-dessus de l’estrade, lentement en tourbillonant comme des feuilles mortes tombent dans la salle, aux pieds des clients des premiers rangs. Alors, la salle résonne de mille bruits, exclamations, crissements des bancs sur le sol de ciment, car les acheteurs tentent de ramasser le papier monnaie. Le marteau s’affole, réclamant le calme. Maître Chansel annule la vente, elle demande à son frère de récupérer les billets, tous les billets, car ils appartiennent au vendeur de draps. Là commence la légende, car c’est une légende : tous les billets n’auraient pas été récupérés, du moins tous, certains seraient restés cachés au fond des poches, des sacs. Oui, c’est une légende, la présence des billets au sein des draps était ignorée, donc par voie de conséquence leur nombre aussi. Il faut reconnaître que les ventes sur les sites d’enchères présents sur la toile n’ont pas cette saveur et ne procurent aucune anecdote à rapporter.