Ludovic Rochette, le président de l’association des maires de Côte-d’Or, est quotidiennement en contact avec ses collègues. Les problèmes, il les connaît bien. Tour d’horizon avec quelques solutions à la clé.
En votre qualité de président de l’association des maires de Côte-d’Or, vous rencontrez très régulièrement les élus. Partagez-vous le sentiment de votre président national, David Lisnard, le maire de Cannes, qui n’hésite pas à parler de « blues » ?
« David Lisnard est un très bon président qui sait composer entre les territoires et les différentes sensibilités politiques. En utilisant ce terme, je pense qu’il veut traduire une lassitude face à une situation sociale complexe, tendue, face aux difficultés liées aux normes, aux questions financières… Nous sommes dans un moment où l’Etat doit prendre en compte cet état d’esprit mais aussi la réalité qu’affrontent les élus au quotidien. C’est avec impatience qu’on attend cette proposition de loi, en 2024, sur le statut d’élu qui est certainement une première réponse à apporter.
Même si je partage le sentiment de David Lisnard, je ne voudrais pas que l’on ne retienne que cela des élus. Car il y a beaucoup d’élus qui ont la niaque, motivés pour se représenter lors des prochaines échéances. Et puis, on sait tous que celui ou celle qui accepte ce mandat de maire sera forcément confronté à des difficultés. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas les aider ».
En quoi les maires sont-ils encore les élus les plus appréciés des Français ?
« Plus l’élu est proche, plus il est connu, plus il est apprécié. Souvent on l’appelle même par son prénom et on va le voir pour des tas de raisons qui ne sont pas seulement municipales. C’est à lui qu’on va demander une place en Ehpad, en crèche, un stage…
Vous savez, dès lors qu’on se compare, on se rassure. Quand on voit l’image que peuvent avoir d’autres élus qui occupent des mandats différents, c’est bien dans le maire qu’on a le plus confiance. La force de la France, c’est d’avoir 35 000 communes, 35 000 leviers de proximité ».
La part des femmes parmi les maires a-t-elle progressé de façon significative ces dernières années en Côte-d’Or ?
« On ne peut pas dire que cela a progressé d’une manière significative. Aujourd’hui, il y a environ 20 % de femmes maires en Côte-d’Or. Par contre, en cours de mandat, quand il s’agit de remplacer un maire décédé ou démissionnaire, le plus souvent, c’est une femme qui est élue. Entre 2014 et 2020, 57 % des nouveaux maires élus dans des élections intermédiaires étaient des femmes. La question est posée : faut-il s’ouvrir à la parité dans les communes de moins de 1 000 habitants ? ».
La Cour des comptes a estimé récemment que la compensation par l’État de la suppression de la taxe d’habitation a été financièrement positive pour les collectivités locales. Est-ce une réalité que vous constatez dans le département ?
« Financièrement positive, on peut l’interpréter de manières différentes. Est-ce la compensation propre de la taxe d’habitation ou bien alors est-ce le manque à gagner de cette taxe d’habitation qu’il a bien fallu trouver par ailleurs, c’est à dire par la taxe foncière ? Cette disposition est bonne pour les contribuables mais elle engendre des difficultés pour les collectivités dans le contexte d’inflation que l’on connaît.
Aujourd’hui, c’est le lien entre la collectivité et l’habitant qui est cassé. Le lien fiscal qui existe aujourd’hui ne relie la collectivité qu’au propriétaire ».
Un certain nombre de maires s’inquiètent d’une remise en cause de la décentralisation. Partagez-vous cette préoccupation ?
« La société évolue et, avec elle, les collectivités. C’est dans la nature des choses. Un nouvel acte de décentralisation, pourquoi pas ? Encore faut-il qu’il soit co-construit avec les collectivités. L’objectif d’une réforme, c’est de gagner en efficacité. On ne peut donc pas imaginer que l’autonomie des collectivités soit remise en cause, qu’on se prive encore plus de proximité. Cela n’aurait pas de sens. Par contre, une décentralisation pour apporter plus de liberté locale, pour donner plus de moyens pour développer des services de proximité… alors oui, je participerais volontiers à la réflexion ».
A votre avis, comment mieux protéger les élus face aux agressions verbales mais aussi physiques qui sont de plus en plus nombreuses ?
« Le paradoxe, c’est que c’est à la fois l’élu dont on se sent le plus proche mais c’est aussi l’élu qui subit le plus d’agressions. La violence de la société m’inquiète et la bêtise humaine me navre. Je pense qu’il y a deux manières de faire. Tout d’abord en amont, en préparant encore mieux les élus à des situations de tension. Nous avons, en Côte-d’Or, formé 150 maires avec des négociateurs du GIGN sur la gestion des conflits. Ensuite, il y a ce qui se passe en aval des agressions. Et là, il faut plus de réactivité et de fermeté. Nous travaillons en étroite collaboration avec le procureur de la République pour nouer un lien encore plus étroit entre les élus et la justice… »
Le gouvernement envisage d’augmenter les indemnités des maires « à la hauteur de leur engagement ». Comment faut-il interpréter cette proposition ?
« Si les élus faisaient ça pour de l’argent, franchement, il ferait autre chose. Un engagement de maire, c’est 24 heures sur 24. 7 jours sur 7. Le montant de l’indemnité n’est pas forcément la seule réponse à apporter. Je connais des élus qui ne perçoivent pas l’indemnité maximale tout simplement parce que la commune n’en a pas les moyens. Les élus travaillent pour la collectivité mais aussi pour l’Etat. C’est aussi une vision plus large qu’il faut avoir de l’engagement municipal.
Reconnaissez qu’il faut avoir foi dans la cause municipale pour mettre entre parenthèse sa carrière professionnelle ou tout le moins la réduire ou l’aborder différemment. Voire même se pénaliser sur sa retraite. Pensons aussi à l’employeur qui ne voit pas forcément d’un bon œil un de ses salariés prendre un mandat de maire. C’est donc tout un arsenal qu’il faut revoir. Donnons les moyens aux communes de payer ses élus mais pas seulement… ».
Propos recueillis par Jean-Louis Pierre