Parmi les parlementaires Les Républicains qui s’étaient clairement positionnés pour le non à la réforme des retraites, contre l’avis même de leur président Eric Ciotti, figure Hubert Brigand, le député de la 4e circonscription de Côte-d’Or. Interrogé juste après le recours au 49.3, l’ancien maire de Châtillon-sur-Seine lance un message au gouvernement…
Comment avez-vous vécu le « jeudi noir » à l’Assemblée nationale, celui où la Première ministre Elisabeth Borne a dégainé le 49.3 pour faire passer la loi sur les retraites ?
« Il faut déjà revenir à la genèse. Nous découvrons début janvier que le gouvernement a choisi le 47.1, soit une procédure raccourcie limitant le débat parlementaire. Nous découvrons également que cette loi est greffée à un budget complémentaire de la Sécurité sociale, ce qui lui donne un côté financier et une possibilité de recours au 49.3. Cela démarrait mal… et il y avait déjà une vraie volonté du gouvernement que l’on ne puisse pas débattre clairement. Voyant que cette loi ne plaisait pas à certains, le président de la République s’est même permis de dire que les oppositions n’avaient plus de boussole, ce qui était excessif. Matin, midi et soir, la Première ministre et ses ministres nous assénaient que c’était une réforme juste. A chacune de nos questions, les réponses étaient floues. Je veux parler des 1 200 €, pour qui et pour combien ! C’était le cas aussi autour des retraites agricoles… Pour les jeunes qui commençaient de travailler avant 20 ans, ils devaient également faire plus que 43 ans. Après la CMP (Commission mixte paritaire), nous nous sommes tout de même aperçus que des jeunes étaient encore passés à travers les mailles du filet et allaient faire 44 ans. Quid également des carrières hachées pour les femmes… La pénibilité qui était le cheval de bataille du président Macron fut survolée. La loi n’était donc pas si juste que cela. Il y a eu accumulation d’erreurs et d’approximations. Quant au financement, le rapport du COR (Conseil d’orientation des retraites), organisme proche du Premier ministre, n’est pas arrivé aux même conclusions que le gouvernement et la situation financière n’était pas aussi catastrophique que ce que l’on a bien voulu nous faire croire ».
Autant de raisons qui vous ont conduit à vous prononcer pour le non, malgré la position de votre président LR, Éric Ciotti…
« Le gouvernement a fait du marchandage vis-à-vis de certains députés. Mais pas en ce qui me concerne, car j’ai eu le mérite de dire depuis le début que cette loi-là ne me convenait pas. Je l’ai dit dans le groupe des Républicains, dans les médias et sur le terrain, car j’ai des convictions et je m’y tiens. Je ne cède pas au chantage ou aux coups de fil pas toujours judicieux. Plutôt que faire une fixation sur la retraite à 64 ans, il aurait fallu mettre en avant le nombre d’années travaillées, avec des critères différents pour la pénibilité. Il faut savoir que malgré les menaces d’exclusion du parti macroniste, des députés de la majorité sont restés dans leur idée de voter non et c’est certainement ce qui a entraîné le recours au 49.3 ».
Un 49.3 au bout du suspense qui a montré que la majorité était plus qu’incertaine sur ce texte…
« Cela faisait des semaines que le gouvernement nous disait qu’il avait un consensus, une majorité alors que, finalement, il ne nous a pas dit la vérité. Je souhaite que le gouvernement se ressaisisse, que certains ministres arrêtent de mépriser les Français et les députés que nous sommes. Les Français ne sont pas des élèves et les députés ne sont pas des écoliers ! Je mesure la mission qui est la mienne, c’est une lourde responsabilité, et avant chaque décision, je consulte et je réfléchis pour voir ses conséquences. Je me considère expérimenté pour prendre les décisions et peut-être même plus que certains ministres ».
Que répondez-vous au président de la République et au gouvernement qui ont expliqué assumer le choix du 49.3 eu égard à la situation des finances publiques ?
« C’est encore un détournement de la réalité. J’aimerais que le gouvernement comprenne qu’il a un problème dans son fonctionnement. C’est désespérant d’entendre l’autosatisfaction des ministres qui interviennent à l’Assemblée nationale et ce, dans tous les domaines. Tout va très bien en France, le chômage baisse, on ramène des emplois… alors que l’on voit tous les problèmes en circonscription. On a l’impression que les ministres ne sont pas dans le même monde que la France profonde. Je souhaite que cet avertissement du 49.3 pour la loi dont le président Macron avait fait le point d’orgue de son mandat, désavouée par les parlementaires et par la population à 75%, serve de leçon au gouvernement. Ils doivent dorénavant tenir compte des vrais problèmes et s’attacher à trouver des solutions pour les résoudre ! »
Propos recueillis par Camille Gablo