LE SERPENT

Thriller en série glaçant réalisé par Richard Warlow et Toby Finlay, avec Tahar Rahim, Jenna Coleman, Billy Howle, Ellie Bamber et Mathilde Warnier.

Après The Eddy de Damien Chazelle, Tahar Rahim revient sur le petit écran avec Le Serpent, une série inspirée par l’itinéraire du tueur Charles Sobhraj. Charmant, manipulateur, intelligent et redoutable, Charles Sobhraj a terrorisé l’Asie dans les années 1970, en se faisant passer pour un marchand de pierres précieuses. Peut-être au final l’est-il devenu ? Naviguant entre la Thaïlande, l’Inde et le Népal, au bras de sa compagne Marie-Andrée Leclerc (l’inquiétante et très belle Jenna Coleman), le Français aurait drogué une vingtaine de touristes, avant de les détrousser et de les assassiner. Multipliant les identités et les tours de passe-passe, ce brillant stratège a ainsi échappé à la police pendant des années …

Tahar Rahim est comme toujours exceptionnel, nous offrant ici une performance hallucinante : transformation physique jusque dans le phrasé pour l’acteur dévoilé au grand public dans Un prophète (2009) de Jacques Audiard. Suivront notamment Le passé d’Asghar Farhadi, Grand central de Rebecca Zlotowski, Samba de Nakache et Toledano ou Le secret de la chambre noire de Kiyoshi Kurosawa. Alors qu’il était encore lycéen à Belfort, Tahar Rahim avait découvert dans la chambre de son frère, non pas un secret, mais un livre retraçant le périple meurtrier de l’assassin du sentier des hippies, surnommé « le Tueur au bikini » ou « le Serpent ». Vingt ans plus tard, Rahim est le héros convaincant de ce thriller fascinant, coproduit par la BBC et Netflix. Toute la distribution est au diapason de l’interprétation habitée et extravagante du Français.

DANS LA PEAU DE NADINE GIRES

C’est une femme, Nadine Gires, interprétée par la trop rare Mathilde Warnier, qui a joué un rôle central dans l’arrestation de Charles Sobhraj, en aidant le diplomate hollandais Herman Knippenberg (Billy Howle) à monter un dossier contre le tueur en série. Nadine et son mari Rémi (Grégoire Isvarine), étaient voisins de Sobhraj lorsqu’ils vivaient à Bangkok. Ignorant que le marchand de pierres précieuses était un meurtrier, Nadine lui présentait des clients potentiels qui, la plupart du temps, finissaient par être ses victimes. Ce n’est que lorsque les Gires aident Dominique (Fabien Frankel), un des rescapés du Serpent (encore en vie), à fuir la Thaïlande, qu’ils découvrent à quel point Sobhraj est vraiment dangereux.

Aujourd’hui Nadine Gires possède une station balnéaire dans le sud de la Thaïlande. Dans une interview exclusive au Daily Mirror, elle affirmait récemment : « Charles est un monstre et me terrifie. Il dormait avec une batte de baseball sous le lit. Mais je dois avouer que lors de notre première rencontre, je ne me doutais de rien et j’étais captivée par son charme. Nous avons bu du Coca-Cola et de la bière, nous avons parlé de la vie, il semblait que nous avions beaucoup en commun. Quand j’ai découvert ce qu’il faisait à ces gens, je devais agir ou je ne pouvais pas vivre avec moi-même. »

COUP DE GUEULE ET COUP DE CŒUR

La comédienne Mathilde Warnier, mélange de fragilité et de détermination, est très convaincante dans la peau de l’entremetteuse qui va se révolter pour démasquer Sobhraj , faisant fi de l’extrême danger auquel elle s’exposait. La première fois que nous avons vu Mathilde Warnier, c’était en 2011 à la télévision. Elle avait vingt ans et se faisait traiter de pute par Nicolas Bedos sur le plateau d’Au Field de la nuit sur TF1 : « Tu vas pas me faire chier avec tes questions de merde, tu vas prendre un micro, tu vas t’le mettre dans le cul (…). T’as envie de faire la télé comme toutes les putes. » On peut revoir ce grand moment de poésie télévisuelle sur Dailymotion ! La jeune femme avait alors rétorqué : « Je ne sais pas qui est le plus pute entre vous et moi ! » C’est vrai qu’elle s’était permise de ne pas aimer Le journal d’un mythomane dont Bedos assurait alors la promotion. La séquence a fait le buzz. Mathilde Warnier prend son envol.

Trois ans plus tard, on la retrouve au cinéma dans le teen-movie A toute épreuve au côté de Marc Lavoine, ensuite dans Caprice d’Emmanuel Mouret avec Virginie Efira, puis dans Les garçons sauvages de Bertrand Mandico, et enfin dans Curiosa de Lou Jeunet. Des choix souvent exigeants dans des films peu communs. Dans la septième saison de la série Engrenages (l’une des plus réussies), elle incarne une policière de la brigade financière : une spécialiste qui va initier Gilou et Laure aux mécaniques de la délinquance en col blanc, et avoir un coup de cœur pour notre héros de la DPJ. Aujourd’hui, l’actrice est encore remarquable dans Le Serpent, et c’est bien nous qui risquons d’avoir un coup de cœur, sans que celui-ci ne nous conduise heureusement à la morgue.

DE LA POP ET DU FLIP !

Pas de musique d’enterrement non plus : la bande originale est principalement composée de morceaux des années 70, avec un mélange de chansons françaises et thaïlandaises pour incarner l’origine des personnages et les lieux où ils se trouvent. Tout cela aide grandement à planter le décor. On se croirait visuellement dans la Thaïlande des années soixante-dix, et la musique à la tonalité pop finit de nous y transporter. Le compositeur Dominik Scherrer a créé une vingtaine de titres pour accompagner certaines des scènes les plus flippantes.

Et le vrai Charles Sobhraj dans tout ça ? Il a été condamné à la prison à vie par le tribunal de district de Katmandou en 2004, tandis que Marie-Andrée Leclerc est décédée d’un cancer en 1984. « J’ai eu pitié de Marie-Andrée parce qu’elle était une personne triste et simple, pas la star de cinéma que nous voyons dans la série. Elle était la prisonnière de Charles. Elle m’a dit : je n’ai pas de passeport, je n’ai pas d’argent et si j’essaye de partir, il me tuera. » Propos glaçants de Nadine Gires, comme cette série addictive, dans laquelle l’insoutenable venin du suspens parvient à sublimer la construction insolemment complexe de ces huit fois une heure de terreur.

Raphaël Moretto