HAUTE FIDÉLITÉ

Le nouvel album électro-spleenétique de Raphaël chez Columbia/Sony

C’était une nuit d’octobre 2003, sur le parking de la Vapeur à Dijon : une nuit de Festirock, dans une autre époque. Une nuit d’après concert.

Nous guettions patiemment la sortie du chanteur avec mon petit frère. Nous étions quatre, deux filles étaient là également, des étudiantes sans doute, je ne sais plus. Comme d’autres attendent le train du soir, nous attendions Raphaël. Et nous étions peu nombreux.

« Le train du soir file vers toi, file vers toi / Du vent dans les cheveux, et le bruit des essieux / Nos souvenirs qui sont en feu »

LE MONDE D’AVANT

C’était le Raphaël d’avant la consécration : d’avant Caravane (2005) et ses près de deux millions d’exemplaires vendus ; le Raphaël d’avant ses trois Victoires de la musique en 2006 ; le Raphaël d’avant la tournée Pacific Tour, sublimement filmé par Jacques Audiard en 2010 ; le Raphaël d’avant Retourner à la mer, Prix Goncourt de la nouvelle 2017, dans la collection blanche de Gallimard. Le Raphaël du monde d’avant, en fait.

Nous sommes en octobre 2003, Raphaël a 27 ans. Trois ans auparavant, comme Christophe, une de ses nombreuses idoles (avec Rimbaud, Patrick Dewaere, David Bowie ou Gérard Manset), il a abandonné son patronyme, Haroche, et signé chez EMI un album plutôt rock, Hôtel de l’Univers, hommage à Arthur Rimbaud. En 2003, avec son album La Réalité, Raphaël chante justement un titre de Gérard Manset Être Rimbaud, et il a déjà le goût des duos puisqu’il interprète sa chanson Sur la route avec un certain Jean-Louis Aubert.

Sur le parking de la Vapeur, une nuit du 9 au 10 octobre, pendant cette séance de dédicaces improvisée, nous échangeons quelques mots sur la troisième saison de la Star Academy, qui sera remportée deux mois plus tard par Élodie Frégé. Mon petit frère offre un cadeau soigneusement emballé à Raphaël, puis nous laissons le chanteur et les deux filles dans la fraicheur de l’automne, tandis que ses chansons et sa voix résonnent encore dans nos têtes.

UN HOMMAGE AU CHANTEUR CHRISTOPHE

Aujourd’hui, à 45 ans, l’auteur-compositeur-interprète sort son neuvième opus studio, Haute Fidélité. La pochette du vinyle, magnifique comme tout l’album, est signée du célèbre photographe Jean-Baptiste Mondino, accompagné par le studio graphique M/M.

Trois ans après son  Anticyclone, Raphaël est de retour avec un treize pistes haute-fidélité, composées en grande partie avec Benjamin Lebeau, du duo rock-électro « The Shoes ». Quatre duos avec Pomme, Clara Luciani, Arthur Teboul du groupe « Feu! Chatterton » et Valeria Bruni Tedeschi procurent à l’ensemble une intensité rare.

Plusieurs des titres de cet album sont des hommages à Christophe, artiste avec qui il a notamment réalisé une étonnante reprise de « Un peu menteur » pour l’album Christophe, volume 1. La première chanson « Années 20 » débute dans un climat vaporeux et installe un univers proche de celui du beau bizarre. Raphaël glisse le nom du chanteur disparu dans les paroles de « Maquillage bleu ». La douzième piste « Norma Jean » est aussi une référence, puisque son titre correspond au nom des fleurs que Christophe aimait offrir : des roses blanches comme la robe virevoltante de Marilyn Monroe dans Sept ans de réflexion.

UN ALBUM LIBRE, ROCK ET ÉLECTRO

Dans «Maquillage bleu», alors qu’on rêvait du cosmos, qu’on rêvait de brise-lames, « on a eu Twitter, Victoria Beckham, s’occupant de nos âmes », on pense évidemment au spleen électronique de l’interprète des « Mots bleus », écrits par Jean-Michel Jarre. On entend aussi, avec émotion, la comédienne Valeria Bruni Tedeschi, de passage chez lui, lisant La Divine Comédie de Dante.

Raphaël a pris le parti de réaliser ce neuvième disque à la maison. « L’idée était de faire quelque chose de plus rock, moins lisse qu’une production en studio. J’ai eu le sentiment d’y gagner en liberté et de pouvoir produire quelque chose de moins poli que mes précédentes maquettes. J’aime le côté bricolé qui en a résulté. C’est plus rugueux, moins formaté. Travailler ainsi sur son ordinateur avec une économie de moyens m’a aussi permis de réduire le temps de fabrication. »

Sonorités électroniques, riffs de guitare et envolées lyriques se mélangent pour un résultat singulier et désorientant. Le sax de Thomas de Pourquery sur « Je suis Revenu », adapté de l’écrivain russe Ossip Menelstam, donne un relief inattendu à ce poème musical du grand artiste romantique qu’est Raphaël. Il signe sans doute là son meilleur album, hommage également à la femme qu’il aime, Mélanie Thierry, présente dans le clip « Le train du soir ». Haute fidélité.

Raphaël Moretto